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Faunes & Flore
5 juillet 2017

L'art de jouir (première partie)

" L'amour comme dérobade, l'étreinte comme ultime argument, la jouissance en points de suspens" - Amin Maalouf, Le premier siècle après Béatrice

 

Asleep in the poppies.

Couchée nue dans les coquelicots. Posée là sans raison. Rien ne bouge dans ce champ au milieu de nulle part.

Du rouge par escarboucles piquetant les environs, alternant des pétales fripées et des tiges velues. Une harmonie de grenat estival qui se couche avec indolence sous le souffle bienfaisant d'un vent paternel.

Garance est couchée dans ce champ de fleurs sauvages aussi vite éteintes que nées.

Le souffe haché, les yeux grands ouverts sur le ciel d'un bleu improbable. En elle s'engouffre un flot irrésistible qui gronde et mugit. Un flux tempétueux comme une crue sauvage qui la noie dans cette glèbe originelle, la forçant à s'ouvrir à la jouissance, naturelle, simple et impérieuse. En elle se joue le chant de l'univers qui enfle et monte du fin fond des entrailles du monde, qui court et révulse son corps éberlué et scandalisé.

Elle ne peut réprimer un vagissement surpris et embarrassé, qui la terrasse et l'emporte plus loin, dévastée par l'assaut sensuel qui dévore cette prairie fleurie.

La jeune femme rue, arquée, offerte, révoltée par cette emprise aussi soudaine que préremptoire.

Un cri comme une protestation davant ce tremblement qui agite son corps d'habitude sec et indifférent. Une plainte de plaisir, un pleur de joie, un sanglot de délivrance.

Elle jouit enfin, dépossédée d'elle même, en mouvements désordonnés, en écartelement obscène, en éclats acérés qui tempêtent et déferlent avec hystérie et vulgarité.

Garance se réveille, exténuée et dépitée. Encore un rêve érotique, elle qui n'en fait jamais. elle qui vient d'une famille comme il faut, où rien ne dépasse, où aucune dépravation n'est jamais évoquéee, où toute passion est honnie.

 

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Elle ne rêve que de problèmes administratifs, de formulaires impossibles, de portes toujours closes, de rues inconnues, de rendez-vous laborieux, de correspondances qui n'existent plus.

Au petit matin, elle se lève pour une nouvelle journée sans ivresse, égale à celle de la veille, conforme à ce que l'on attend d'elle, à son statut de mère impeccable et d'épouse fidèle.

Mariée depuis dix ans, elle a donné deux beaux enfants à l'homme de sa vie, celui qu'elle a épousé sans grande conviction, écoutant les recommandations des femmes de sa tribu qui ont pris en otage sa vie présente.

" Tu devrais songer à te caser- Tu ne seras pas toujours aussi belle, ne rate pas une occasion pareille- Ne fais pas d'enfants trop tard- Les enfants c'est le plus beau cadeau pour une femme- Tu verras la grossesse c'est le meilleur moment de la vie- Jamais une femme n'est plus belle qu'enceinte".

Elle a donc cédé aux injonctions sociétales, peu convaincue de la véracité de ces phrases toutes faites et n'a pu adhéré à aucune de ces convictions populaires. Garance s'est soumise aux ordres pernicieux de la nation soucieuse d'une procréation utile, d'une hausse démographique régulière, d'une fertilité utile.

Elle a supporté les nausées permanentes, les coups de pied répétés des bébés farceurs qui s'ébattaient dans son ventre puis les absences de mouvements. De petites inquiétudes qui émaillaient le temps des ces journées, une existence mise en parenthèse où l'enfant qui se nourrit d'elle devient le but ultime, le graal de son foyer.

Elle n'a pas trop osé s'exprimer, se révolter mais ces foetus qui poussaient en elle n'ont jamais satisfait pleinement ses attentes. Submergée par les hormones, elle a patienté, un faux sourire satisfait posé sur ses lèvres. Elle s'est vue gonfler, se métamorphoser en femme recluse, sans aucune séduction ni désir.

Des seins douloureux, un ventre déformé, un appétit d'ogre, une fatigue récurrente sont ses seuls souvenirs.

Garance a enfin mis au monde ses enfants dans une douleur inégalée, aussi brutale qu'aussitôt oubliée. Elle s'est sentie écartelée, livrant ses organes comprimés à la griffure, au broiement de la Genèse, à la destruction consentie, masquée aux yeux des autres. Elle ne voulait qu'expulser cet envahisseur qui devait vivre à tout prix, lacérant sa chair tuméfiée.

Elle hoquetait, couverte d'une sueur malsaine, priant un Dieu absent de la sauver, de lui pardonner son péché de chair. Péché bien piètre à son regard de femme lasse et peu éxubérante. Elle ne se souvenait même plus de la conception de cet enfant sans visage, si lointain.

Encore un coït sans âme, une chevauchée en 6 minutes 27, une conjonction des sexes dans un bruit nauséeux de succion humide. Garance ferma les yeux, soupirant devant le désastre de sa vie.

Pourtant, elle se sentait normale. Son corps fonctionnait normalement. Elle ressentait de l'excitation mais perdait son enthousiasme rapidement, polluée par la vue de son mari ridicule, un vêtement qui traînait, le manque de créativité, l'absurdité du moment, une pensée aussi fugace qu'inappropriée. Une main posée sans aucun sentiment sur son pubis qui bricolait un simulacre de concupiscence, un pénis pressé qui la pénétrait sans préparation. Trois petits coups et puis s'en vont. Un éternel recommencement à l'identique sans émoi ni élan.

Presque jamais, elle ne connaissait la délivrance attendue, la jouissance extatique, brandie comme la réalisation d'une vie épanouie.

Frustrée et inquiète, la jeune femme avait compulsé des articles, des livres sur le sujet, interrogé la psychanalyse en cachette.

Partout était placardé cette recherche de la plénitude sexuelle. Partout étaient exposés des corps magnifiés, d'une sensualité torride, photographiés comme juste au seuil d'un orgasme apocalyptique. La société affichait une excitation permanente, un désir exponentiel qui ne semblait jamais finir.

Ringard était celui ou celle qui n'avait pas eu de rapport avant 16 ans ou des amants en pagaille, perdu était ceux qui n'avaient pas une vie sexuelle active et ne copulaient pas moins de deux fois par semaine. Et la médecine qui prônait et banalisait une dépense physique poussée promettant aux officiants la vie presque éternelle, des veines propres et un mental de vainqueur.

Garance se regardait vieillir insatisfaite, au ban de sa vie, remisée comme un outil, frigide et affamée d'un ailleurs qui resplendissait. Ailleurs, bien loin.

Il fallait qu'elle se ressaisisse, qu'elle aille sur les chemins de cette jouissance flamboyante. Elle allait partir sur les chemins, comme le garçon du conte de Grimm, celui qui n'avait connu la peur.

Elle aussi allait prier le Seigneur pour qu'elle connaisse le plaisir à son tour, qu'elle gorge sa chair de félicité charnelle, qu'elle s'oublie dans des ébats légendaires, qu'elle jouisse à en perdre raison, qu'elle se métamorphose en catin magnifique.

 

 

 

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