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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
27 août 2019

Arbitre des élégances

Vert-Clos, Ile de ré. Mi-septembre, neuf heures du matin. Lumière liquide,  ambrée, prémice de l'automne, digne d'une toile hollandaise.

 

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Albane est seule encore. Elle attend son équipe de répérage avant de lancer le chantier de fouilles. Elle contemple l'océan si calme en contrebas du champ abandonné par la horde de vacanciers. Le chapiteau du cirque au rouge si criard gansé de bandes dorées a été démonté, les bicyclettes rangées pour la saison dans l'ombre des remises. Un temps d'accalmie avant la marée d'équinoxe, une entre deux rassurant.

A gauche, la piste cyclable est étrangement calme, effleurée par quelques bourdons. Des mouettes désoeuvrées planent et glissent dans le ciel d'un bleu roi pur. Plus personne pour commenter, s'arrêter, déranger.

A droite, les remparts de Vauban se camouflent, dissimulant en embuscade escarpes et escaliers militaires sous un manteau de fenouils anisés, de lianes de lierre aux mille pattes drues et féroces.

 

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Plus bas, la plage du Vert-Clos s'ébroue, chatouillée par le flux ascendant. Ses galets ronds bruissent en saccade. Albane sourit. Elle se souvient de ses visites régulières sur une des rares plages caillouteuses de l'île, une plage en marge, secrète. De tout temps, elle y est venue chercher des trésors marins.

Des morceaux de brique polis par les flots, doux et délicieusement ronds, du verre dépoli comme des bonbons transparents. Des tesselles aux formes hésitantes incrustées dans une mosaïque trop grande pour être jamais vraiment achevée. Des vestiges d'agapes lointains, de bouteilles fracassées contre les rochers, perdus dans les flots, puis échoués au hasard des côtes. Un camaïeu de verre de mer d'un blanc opaque, vert mousse  piqueté, turquoise, de marron grisé qui, mouillés par la mer, retrouvait un semblant de lustre éphémère, un brillant décoratif.

 

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Son père les entassait après la récolte dans de grandes bouteilles de pharmacien, pansues et épaisses, qui servaient ensuite de pieds-de-lampe.

Albane passait des heures à glâner ces petits morceaux colorés dans les interstices des galets, nichés sous les algues-salades. Elle y ramassait aussi des plumes arrachées, des bois flottés, des os de seiche ou ces si singulières et gothiques poches d'oeufs de roussettes. Parfois, elle trouvait de magnifiques éventails de mer. Des répliques d'arbres terrestres, miniatures et couvertes de vésicules calcifiées. Des gorgones semblables aux coraux qui enflammaient son imagination et l'emmenaient dans des palais sous-marins aussi inquiétants que fascinants, là-bas derrière l'horizon mauve.

Rentrée à la maison, Albane confiait ses découvertes à son petit coffre pour les oublier aussitôt. Rien ne valait la cueillette sur la grève, le vent qui agitait ses cheveux comme autant de serpents terrifiants, le bruit du ressac qui revenait incessant, encore et toujours.

Elle se demande si c'est à cette période qu'elle avait décidé de fouiller la terre pour en exhumer des artefacts de civilisations disparues.

Première sans surprise en latin-grec, elle rêvait à ces inconnus qui, un jour, s'étaient résolus à façonner la civilisation actuelle. Elle se laissait aller à imaginer ces hommes aux barbes bouclées, aux regards sévères et aux torses aussi glabres que parfaits qui hantaient les salles des musées romains. Elle se souvenait de son émoi devant les étagères surpeuplées de portraits sculptés au Capitole et devant la statue équestre de Marc-Aurèle.

Albane avait donc étudié assidûment la statuaire antique, laissant ses doigts parcourir omoplates et clavicules des statues étudiées. Un trouble particulier l'envahissait alors et la poussait à embrasser doucement ces images pétrifiées. Leurs lèvres froides ne s'entrouvaient pas, ne souriaient pas sous son assaut mutin. Elle ne pouvait alors retenir un soupir d'envie charnelle. Elle se muait en Gorgone implacable, enlaçant ses proies figées pour l'éternité, les soumettant à son désir de vivante, réchauffant leur peau de marbre ou de bronze. Son statut d'archéologue passionnée lui avait ouvert les portes des réserves et les salles des musées de province.

Elle ne se priva d'ailleurs pas de ce plaisir coupable. Pénétrer nuitamment dans ces lieux de conservation était devenu un rituel. Son cérémonial était réglé à la minute. Elle lissait alors sa longue chevelure brune, maquillait sa bouche d'un rouge de professionnelle, se transformait en vamp hollywoodienne, drapant sa silhouette dans des voiles brodés, camouflant habilement ses corsets et jarretières. Sans homme pour la presser et jouir égoïstement de son corps, Albane prenait son temps, léchant son amant statufié, se moquant de son apparente indifférence, lui chuchotant des promesses de femelle à l'oreille qui la rendait docile, offerte. Elle promenait ses talons aiguilles vernis le long des hanches au nombre d'or et des mollets d'athlète, caressant avec volupté les os illiaques parfaitement dessinés par les ciseaux habiles des artistes anonymes.

Albane n'était plus l'archéologue de province qui traînait ses godillots sur la glèbe des chantiers urgents, empêchant les engins vrombissants de défoncer les villas gallo-romaines pour des projets autoroutiers. Elle troquait ses pulls informes et son statut de chef d'équipe qui quadrillait vaillamment les terrains détrempés avec ses cordes et ses piquets fatigués pour celui de courtisane de qualité, propriété d'un seigneur de pierre. Elle n'en savait rien, ne cherchait pas à connaître son histoire passée. Elle ne voulait que son corps puissant, son érotisme masculin d'imperator. Elle frottait son visage à sa barbe ciselée, faisait courir sa langue sur ses sourcils appuyés, torturait ses boucles figées. Albane se lovait contre son amant de pierre, laissant l'extase la saisir avec violence et l'apaiser dans le monde des vivants.

Elle ne vivait pas cet amour des tribuns ou empereurs comme une perversion. Elle avait ouï dire que bon nombre d'hommes aimaient fricoter avec des nymphes d'albâtre, que la Vénus de Milo était soumise à des attouchements de vieux barbons lubriques. Elle aussi souffrait de ce fétichisme particulier et n'en parlait à personne, cultivant avec discrétion son jardin de ruines secrètes.

 

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 Cependant, Albane soupirait après une relation de chair.

Elle était amoureuse mais l'objet de son affection n'existait plus. Dans la clarté glauque du néon de la salle d'étude de son internat, entre le repas et l'heure du coucher, elle était tombée amoureuse de Pétrone, l'ami et protégé de Néron. Son élégance et son insouciance parlait à son âme raffinée d'adolescente solitaire et sauvage. Elle avait dévoré son Satyricon, rougit à ses évocations de débauche, fantasmé sa Rome impériale. Sa liberté de ton inédite l'avait plus que séduite et elle sut immédiatement que jamais elle ne trouverait son Pétrone parmi ses camarades de lycée ou dans son entourage immédiat.

Plongée dans son Gaffiot, elle s'abîmait avec déléctation dans l'histoire de Trismalcion quand elle avait achevés ses devoirs courants. Etrangère aux émois de ses copines, elle attendait de croiser l'Homme capable de l'asservir corps et âme, de la rendre aussi experte dans l'art d'aimer que dans les arts en général. Le vulgaire de la copulation ordinaire, les regards lourds de sous-entendus sexuels la laissaient de marbre. Un brin de prétention l'habitait mais elle l'avait acceptée sans en rougir désormais.

Albane se refusait aux avances sans enjeu, se fantasmait en compagne de jeu, hautaine et sans vertu, aux pieds de son maître romain. Elle s'imaginait donnée aux convives d'un banquet nocturne ou commentant avec mépris les copulations exhibitionnistes de son mentor. Elle aurait aimé être bafouée, cajolée, conspuée et adulée. Un peu frustrée de ne pas jouir comme une femme normale, elle apprit à se contenter de ses aventures muséales qui la laissaient satisfaite mais sans passion. Lui manquaient le sentiment de perdition, d'embrasement de ses sens octroyé par un homme aussi intelligent que vicieux. Un maître sévère capable de comprendre ses envies troubles avant qu'elle ne les exprime. L'homme parfait aussi pervers que raffiné qu'elle servirait sans mot dire, prête aux sévices comme aux plaisirs de l'alcôve qu'il lui apprendrait.

" Bon on y va ? Albane tu reviens parmi nous ?"

L'archéologue se retourne, agacée d'avoir été prise en défaut de rêverie éveillée. Son équipe l'attend patiemment, prête pour les relevés traditionnels, le début du chantier.

" Salut Christophe, excuse-moi; je ne vous avais pas vu" répond timidement une Albane subitement revenue à elle, endossant promptement son costume de professionnelle. " Je vois que nous avons de la visite. T'inquiètes je vais le voir tout de suite, histoire d'endormir le dragon."

Au bord du champ, l'équipe habituelle de ses garçons hirsutes et braillards attend le feu vert. Des gars simples, potaches mais sérieux toujours impressionnés par la rigueur militaire et la volonté de leur chef femme. Jamais aucun n'a pensé une seconde à faire un geste déplacé, prononcer une remarque hors de propos. Entre eux est née une camaraderie exempte de désir, digne d un quintett bien rodé, où chacun connait sa place et sa spécialité. Albane leur en est grée et ne cherche jamais à leur mentir.

Un petit signe de tête d'Albane qui foule le champ fraîchement labouré et les archéologues investissent aussitôt le lieu, plan à la main, en délimitent les contours avant d' installer le matériel et la tente pour le stockage, les pauses. Les prospections antérieures et le carottage sont riches de promesses de découvertes gallo-romaines.

" Bonjour Monsieur le conservateur. Heureuse de vous voir d'aussi bon matin sur les lieux du crime. Vous pourrez contaster par vous même que nous allions ouvrir le chantier.

- Bonjour Albane. Je me devais de venir sur votre site sensible. Rien ne confirme vraiment votre hypothèse somme toute bien légère de la présence d'un temple de Neptune à cet endroit précis. Les textes collectés parlent de ruines plus loin sur la commune du Bois. Ni les drones ni les légendes locales n'ont confirmé à ce jour la présence de la moindre pierre monumentale, d'aucune trace de bâtiment à part ce vague bout de mur rectiligne. Je ne vois aucun fanum ici.

- Pour l'instant. Vous savez le goût théatral des Romains pour la mise en scène. Comment ne pas investir cet endroit là qui glisse avec majesté dans un océan si vaste plutôt que dans une plaine sauvage ? Je me fais fort de vous prouver mon intuition profonde. Il s'agit de la découverte de ma vie, je le sais, je le sens même si aucun élément scientifique ne peut en apporter la preuve. Dans quelques jours, la Nouvelle Aquitaine aura exhumé un site de grande valeur je vous le prouverai.

- Je l'espère pour vous. Le docteur Kemmerer ne parle pas un instant de cet endroit et son Histoire de l'île de Ré reste tout de même le livre de référence, la base des recherches. Même s'il prend souvent des libertés avec la vérité..

Nous n'avons pas vraiment de temps à perdre en fouilles inutiles. Le budget n'est pas extensible vous le savez aussi bien que moi.

Nous avons d'ailleurs un chantier d'urgence près de la ligne de train à grande vistesse..."

Albane n'écoutait déjà plus, impatiente de retrouver sa truelle et son seau, et les discussions aussi drôles qu'inconsistantes de ses collègues. Un d'eux se mettait inmanquablement à chanter faux à tue-tête en déclenchant protestations et jets enfantins de sédiments sur le séditieux. Elle avait hâte de rejoindre sa troupe.

" Enfin vous m'avez comprise, Albane. Je ne peux évidemment pas rester avec vous mais Monsieur Brochstein que vous ne connaissez pas encore passera ce soir pour vérifier l'avancée des travaux. Bon chantier à vous tous. Je vous appelle demain.

- Belle journée Monsieur le conservateur. Et merci pour votre soutien" conclut Albane en le raccompagnant à sa voiture.

La portière à peine claquée, il était déjà parti sans un regard.

Le poing levé, Albane poussa un cri de victoire, soulagée.

" Yep il est parti. On y va les gars ! A nous le trésor de Neptune !"

**

Quelques jours ont suffi pour dégager un pan de mur d'enceinte à l'appareil romain, ce qui rassura l'équipe. Le site archéologique tant convoité existait bel et bien.

Albane racle la terre, enlève souche après couche avec rage, relève et consigne avec application l'avancée des travaux. Temple ou pas, il s'agit d'une découverte d'importance. Ele le savait, le pressentait. Chacun peut souffler, assurés de pouvoir continuer à mettre à jour le mystérieux bâtiment écrasé par des siècles de sédiments accumulés.

La directrice n'a plus le temps de soupirer après ses amants de pierre, son Pétrone rêvé, emportée par le tourbillon des heures laborieuses. Strate après strate, le site se découvre.

 

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" Albane, viens voir. Je crois qu'on a gagné le jack-pot. Viens voir vite ! ". Un cri d'une intense excitation, une jubilation profonde. Quelques pas la séparent des garçons attroupés sur l'un des leurs. A leurs pieds, une pierre bien taillée de grande dimension, déjà dégagée par des pinceaux fébriles.

" Une marche? C'est ça ? C'est pas vrai ? Un escalier ? Purée c'est génial ça !!!

- Comment on va devenir célèbre !" s'exclame Benoît, le découvreur officiel, le plus jeune de la bande. Toi, Albane, en tant que chef de chantier, tu vas éclipser Howard Carter. Et nous, les grouillots, les soldats de l'ombre, je te dis pas comment on va pécho cet hiver en soirée. "

Albane couve du regard son poulain insolent mi-amusée mi-choquée avant de sourire devant cette révélation improbable. Devant elle se trouve le rêve de toute une vie. La première marche d'une construction souterraine,  d'un hypogée, du fameux temple ?

" Tu sais quoi ? " continue le jeune homme devenu volubile. " Tu devrais appeler l'autre guignol, le Broquestone bidule quelque chose. Tu sais celui qui devait passer le premier jour et qui n'a jamais daigné amener sa gueule au guichet. Histoire qu'il vienne expertiser la découverte et annoncer la nouvelle au monde entier. Il débloquera le budget en conséquence par la même occasion..." conclut-il avant de retourner à sa fouille.

" Tu as raison. Je vais lui téléphoner, lui dire de s'amener. En termes plus élégants bien entendu. Continuez et bravo les enfants. Je reviens tout de suite. Pas question de louper un nouvel épisode.

Et gare à la malédiction. Souvenez-vous de l'histoire de Toutânkhamon ! " dit Albane en s'éloignant du champ.

**

Le soleil se couche sur un chantier apaisé. L'équipe encore sous le choc de l'adrénaline est partie fêter la nouvelle sur le port de Saint Martin, exaltée et turbulente. Albane contemple les trois marches excavées. D'après le sondage, un tunnel de vide s'ouvre en dessous. Le couloir traditionnel des sépultures enterrées avant d'atteindre la chambre funéraire. Elle semble inviolée. Il faut juste attendre l'aval des autorités avant de procéder à l'ouverture de la tombe.

L'archéologue ne peut qu'espérer y trouver une dépouille mortelle et son environnement précieux. Pareil monument n'a pu être érigé que pour un notable, un personnage riche et important.

Albane s'asseoit sur ses marches oubliées, fixant avec fièvre et impatience la terre mystérieuse.

Une douce torpeur la gagne. Ses muscles se décrispent, la fatigue la submerge. Elle ferme les yeux juste un instant, pestant après ce maudit fonctionnaire qui ajourne sans cesse sa venue sur le chantier.

" Madame Durance, réveillez-vous. Vous ne pouvez pas rester ici. Veuillez vous réveiller !".

Une voix inconnue la tire de son demi-sommeil. Tout est curieusement éclairé. De grandes torchères illuminent l'entrée du tombeau. Tout est dégagé en contrebas, méticuleusement nettoyé.

" Très jolie mise en scène. Vous voudriez m'impressionner que vous n'auriez pas mieux fait " s'exclame l'inconnu. Grand, barbu, de belle prestance, sanglé dans un pardessus beige, l'homme la regarde avec froideur.

Albane ne peut se dessaisir d'une langueur persistante. Cependant, elle expose du mieux qu'elle peut l'historique de l'intervention, analyse les trouvailles et achève son compte-rendu à bout de souffle.

L'homme se tait, concentré sur l'ouverture béante.

" Qu'est-ce qu'on attend pour entrer puisque tout semble y inviter ?"

- Nous vous attendions. A vous l'honneur " balbutie une Albane rougissante, impressionnée par l'arrogance de l'inspecteur.

Ils descendent de conserve les degrés juste mis à jour.

" Vous qui pénétrez ici, abandonnez tout espoir" murmure l'homme en souriant ironiquement.

Comme Albane le supposait s'ouvre un tunnel appareillé avec élégance. De petites pierres dans un parement parfaitement aligné éclairé par des flambeaux avivés par l'air frais qui s'engouffre.

Ils arrivent dans une haute pièce ronde voutée. En son centre, un lit mortuaire où repose un squelette entier, couvert d'une cuirasse en bronze entouré d'un mobilier intouché. De chaque côté, de grands thymatérions où brûle une résine odorante. Albane est subjuguée et n'ose s'approcher. 

" Regardez cela Madame Durance. C'est extraodinaire."

Elle se retourne vers l'entrée pour y découvrir une grande statue glabre en marbre.

La plus belle jamais vue. Intacte et luisante dans la lueur des lampes à huile qui la ceinturent. Devant elle se dresse un  tribun majestueux en toge, figé dans un déhanchement prometteur. Un frisson érotique, animal aussitôt la traverse. Elle soupire, subitement envoûtée, prise de vertiges. La sculpture la caresse de son regard vide, dans une supplique muette. Rejoins-moi, rejoins-moi semble t-elle lui chuchoter lascivement sans bouger ses lèvres serrées. Tant de siècles sans voir la lumière, sans étreindre une vivante. Je t'attendais, tu es mienne. Donne-toi. Maintenant.

" Comment pareille statue peut-elle se trouver ici, sur ce lopin de terre perdu dans l'océan ? C'est contraire à toute vérité historique, à tout ce que nous connaissons jusqu'à maintenant. Jamais ô grand jamais des fouilles de ce genre n'ont livré un site aussi exceptionnel. Je n'y crois pas; je deviens fou " répète en boucle le barbu qui semble perdre la raison. 

Albane s'est avancée, hypnotisée par la main tendue qui semble l'inviter à s'avancer toujours plus.

Elle lève ses bras, en position d'orante, ses mains ouvertes, offertes. Son corps se convulse, trop vêtu. La statue la posséde, lui intime l'ordre de se coucher. Elle se débarrasse de ses oripeaux de chercheuse avant de s'étendre, provocante et ouverte. L'esprit du tribun la considère, la frôle avant de la prendre comme la fille des rues qu'elle incarne avec conviction. Une symbiose magnifique, d'une bestialité aussi pressante que raffinée. Un empalement orgastique que jamais Albane n'aurait pu imaginer. Fière et belliqueuse, elle devient servante, domestique exclusive. Elle griffe le sol, hurle sans honte son plaisir impérieux avant de recouvrer ses esprits. Chancelante et glorieuse, elle revient à elle se demandant où s'est caché Monsieur Brochstein. Ce misérable a disparu, pris de folie subite. Il aura sûrement oublié en sortant de l'hypogée. Elle s'en moque un peu. Plus grand chose n'a vraiment d'importance.

Albane sourit tendrement à son amant du Vert-Clos, celui qui a su lui donner le plaisir parfait, entier, unique. Demain ou après-demain, elle feindra la surprise en entrant avec son équipe. Quand ils viendront profaner son sanctuaire. Elle le retrouvera ensuite en parfaite servante pour rejouer la scène, pour le servir, lui insuffler un peu de sa jeunesse.

Avant de quitter la pièce qui s'obscurcit peu à peu, elle veut lui baiser les pieds, le remercier, sceller sa nouvelle servitude.

Sur le socle, une inscription gravée sous une couche de poussière. Elle souffle dessus avant de pousser un gémissement.

Elegantiæ arbiter.

 

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