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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
29 septembre 2014

Le goût: Léa et le loup (deuxième partie)

Léa a choisi un restaurant bien en vue, bien côté par les blogueurs et les amateurs de bonne cuisine. Elle veut du monde autour d'elle, une carte sans histoire, un lieu neutre pour l'observer en toute quiétude.

Son amoureux l'impressionne bien qu'elle s'en défende. Trop poli pour être honnête, trop calme pour être innocent, trop intelligent pour se laisser berner facilement. Son appétit racé dissimule de lourds secrets. Elle sait qu'elle s'expose, que le danger se tient à sa porte. Un péril qui l'excite beaucoup.

Elle se sent vivre de nouveau, d'être ainsi guettée comme une proie, attendue et convoitée.

Léa pénètre dans l'établissement éclairé par d'orgueilleuses chandelles. Les gens aiment généralement la lumière des bougies. Elle flatte le teint, floute joliment les marques du temps, donne à rêver.

Les convives se métamorphosent, s'épient, se comparent, se critiquent, oublient leurs misères communes, se congratulent et s'égratinent.

Les couverts brillent, pimpants et argentés, militairement alignés autour de la porcelaine maîtresse, blanche et vierge.

Tout respire l'opulence classique, de bon aloi.

Léa sourit, salue les inconnus et le cherche du regard.

Elle le reconnaît aussitôt.

 

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Grand, la prunelle brûlante, la bouche sensuelle, des cheveux blonds courts tirant sur le roux.

"Attention ma fille ! Cheveux rouges, rousseur diabolique! Force, vigueur, passion et tentation."

Léa se mord les lèvres de convoitise.

Tout inspire l'amour violent, la sauvagerie physique chez cet homme qui n'a pas encore ouvert la bouche. Une étrange puissance, intemporelle et barbare émane de ces épaules de guerrier étouffées par l'étoffe épaisse de son costume. Elle le voit courir nu entre les troncs noirs d'une forêt insondable, enivré du plaisir de sentir le vent sur ses muscles saillants, prédateur effrayant, la mâchoire grande ouverte. Des images qui se téléscopent et se chevauchent, syncopées, effrayantes et troublantes.

Une maison cachée dans l'ombre, des femmes qui hurlent, des trainées de pleurs sur des visages crasseux, un feu sinistre, des branches qui cinglent, des ramures aiguisées, des pâtisseries aux glacages pompiers, des pelisses juste écorchées jetées au sol, des accouplements sauvages, des orgasmes dévastateurs.

Elle le sent prêt à bondir, prêt à recouvrir sa véritable nature. Elle ne serait pas étonnée de lui voir pousser des crocs, de voir une fourrure automnale recouvrir son corps habitué à la chasse au grand air.

Seules ses mains sont vraiment élégantes, soignées et nerveuses aux ongles impeccablement coupés. Elle flaire l'humeur lupine derrière son sourire policé, la névrose derrière son maintien.

" Léa, vous êtes encore plus ravissante que ce à quoi je m'attendais. Belle à croquer même.

Attendez que la lune se lève, nous retrouverons le chemin de la maison."

Léa lève le sourcil à sa dernière phrase énigmatique, hors de propos, mettant la confusion sur le compte d'une émotion subite.

Mais son amant d'un soir n'est pas homme à perdre ses moyens. Ses mains sont restées fraîches et sèches quand il s'empare de celles de la femme entre les siennes.

Elle l'interroge doucement, essaie de le faire parler.Il n'a toujours pas parlé de son métier, de son parcours professionnel. Des interrogations légitimes au début d'une relation. L'âge, la taille, la couleur des yeux, des cheveux, la situation professionnelle, le lieu de résidence.

Ils parlent avec entrain, commentent les menus, s'interrogent, rient des noms pompeux, échangent des lieux communs, commandent, se regardent, se jaugent, s'éprennent l'un de l'autre.

Ses mains volent au-dessus de son assiette, s'emparent avec voracité de ses couverts pour les reposer avec une force à peine contenue, massacrent la mie de la corbeille à pain.

Des mains qui ne cessent de bouger comme dotées d'une malice maléfique, animées d'une vie propre, habitées par un démiurge qui ne trouve pas le repos.

Des mains habituées au pillage, à se servir sans restriction, qui ont du mal à rester sagement posées sur une table.

" Lea, vous êtes appétissante. J'essaie depuis tout à l'heure de vous assigner une de ces fameuses classifications, celles des saveurs primaires. La plupart des femmes que j'ai connues sont facilement classables. Vous non, vous êtes difficile à déchiffrer. Paradoxale, superbe et détestable, raffinée et bestiale, rêveuse et pragmatique, garce et petite fille.

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Votre appétit de vivre est aussi écoeurant que le sucre croquant des pommes d'amours des fêtes foraines, poisseux et addictif. Vos propos sur votre vie, les hommes, vos espoirs sont acides et drôles. Le dégoût de votre corps, votre manque de confiance en vous est d'une amertume peu commune et vos larmes de dépit sont aussi salées que l'océan qui rugit en vous."

L' entrée est servie.

Mais Léa ne sait déjà plus ce qu'elle voulait, ce qu'elle ingurgite. Une vague terrine arrosée d' une sauce délicate ou est-ce un vol au vent, des asperges, un carpaccio aux agrumes ? Impossible de se souvenir tant ce homme l'hypnotise.

Sa voix au timbre grave la captive, éveille une concupiscence qui reste gravée au fer rouge, une envie irrépressible de tirer sur la nappe, de jeter la vaisselle à terre et de se laisser prendre sous le regard des autres clients. Une tension érotique si forte qu'elle change de position sans cesse, perturbée par le poinçon brûlant et lancinant qui la cloue à sa chaise. Elle croise et décroise les jambes, essayant de rester imperturbable, désormais sous l'emprise de sa voix ensorcelante.

 

 

Il a su dès qu'elle est entrée que c'était elle qu'il recherchait depuis si longtemps. Elle le fait déjà saliver mais il doit rentrer les griffes, éviter de se lécher les babines. Un gibier de choix, une pièce maîtresse dans sa collection de proies.

Des attaches fines malgré son embonpoint, une silhouette gracieuse et bien proportionnée, une peau délicate et rebondie, une bouche gourmande et pleine. Une femme qui s'entretient, dort ses huit heures par nuit, ne tombe pas dans l'excès, qui saura le satisfaire.

Il joue avec elle, compose une partition particulière, pose des notes pour l'égarer, accèlere le tempo et sourit de son souffle qui suit , goutte son nouveau pouvoir de persuasion, la regarde s'enliser dans ses principes, sa vertu factice. Il la sait à sa merci.

"Que diriez-vous de prendre le dessert chez moi ? Nous serions bien plus au calme vu que nous avons fait connaissance et que vous semblez n'être pas rebuté par mon aspect.

Je suis sûre que vous allez adorer mon joli domaine."

Elle rougit de son impudence, contente et soulagée de son invitation brusque qui va la sauver des démons qui l'assaillent.

Une réplique de film, banale et lourde de sens. Celle où tout bascule, l'heure où les passions grondent et enflent, où l'histoire prend sens. L'heure où le criminel montre son vrai visage, sort son coutelas de la boîte à gant, le sac plastique du tiroir de la cuisine. L'heure où tombent les vêtements pour l'accouplement paroxystique.

Ils partent vite sans s'excuser, bredouillent une formule de politesse inaudible avant de s'évanouir dans une nuit lourde de promesses intimes.

Il lui ouvre la porte de la voiture, lui glisse un objet rond et lisse dans la main en lui refermant les doigts .

Léa le regarde interdite, ouvre sa menotte. Un petit caillou blanc brille dans l'obscurité de l'habitacle.

"Pour ne pas vous perdre" dit -il doucement en tournant la clef.

 

x-im-19

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Commentaires
C
Où vont bien pouvoir nous mener tant de mystères? Vous aiguisez mon appétit.
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