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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
8 mars 2016

L'odalisque de Saint Jean II

Bérénice barbote dans son bain brûlant, bercée par le clapotis feutré de l'eau. Des ablutions qui la lavent des souillures du train, une mousse parfumée et pétillante qui l'absout des sanies de ces hommes inconnus qui l'ont prise sans ménagement. Une purification de ses mauvais penchants, de ses pensées obscènes.

Depuis, elle s'est claquemurée dans sa chambre d'hôtel confortable et lumineuse, n'osant se frayer un chemin dans la foule pour humer l'air de la ville, regarder les parisiens se presser, s'amuser de leur hâte particulière, aller sans but d'une rue à un boulevard, se laisser tenter par une robe avant d'en abandonner l'idée attirée par d'autres vitrines, déguster une pâtisserie avec les doigts, boire un café en tuant le temps.

Elle n'est pas venue à Paris pour flâner ou paresser. Elle est là pour devenir odalisque, se conformer aux désirs de son Monsieur R. Bérénice se sait magnifique et dépendante, voluptueuse et enfantine.

Elle attend, s'abreuvant de musique, guettant la pendule de morceaux en tubes, de découvertes en coups de coeur en chantonnant, se mirant dans la glace, se souriant, minaudant en mal de présence humaine. Elle se trémousse, énivrée d'espoir, rejointe par une inquiétude soudaine qu'il l'abandonne à son sort. Elle attrape un livre, n'arrive pas à se concentrer sur ces lignes prétentieuses et sans chair, le jette à terre. Les magazines sont feuilletés et oubliés. 

La journée s'étire en longueur, indifférente à ses angoisses superficielles; les écrans restent vides de Lui. Son ventre se creuse dans cette abstinence forcée, le manque cogne dans ses veines. Ses soupirs se chevauchent dans l'inactivité, s'entremêlent sans but, tricotent un mur de lamentations.

Elle se grifferait les bras de dépit si l'activité n'était prohibée dans les sacro-saintes règles édictées pour les postulantes de la confrérie secrète. L'obligation de ne porter aucune marque, l'interdiction de pratiquer toutes activités  pouvant laisser des souvenirs épidermiques cuisants et marquants.

Comme une droguée sevrée, elle parcourt sa chambre en mouvements erratiques en manque d'un homme qui ne l'a jamais touchée. Bérénice heurte les murs pour se prouver qu'elle n'est pas devenue fantôme, cherche à s'écorcher pour souffrir avec décence, raison.

Une vraie plaie est méritoire, noble et digne; pas des regrets factices et ridicules, des plaintes de midinette délaissée.

Elle voudrait peindre toutes les nuances de sa misère sensuelle, cracher sur une toile les éclaboussures de son ressentiment, étaler rageusement sa désaffection si subite, se répandre avec violence, lacérer le canevas de sa solitude théâtrale. Mais elle s'asseoit au bout du lit, réduite au silence, partagée entre la honte de le détester autant et cette fièvre qui la dévore.

Il est marqué dans le Code que chaque odalisque doit être mise au secret, enfermée, à l'écart du monde, prête au service, concentrée, sans aucun divertissement autre que l'espoir de voir le Propriétaire. Une tension nécessaire à une exacerbation des sens, un emprisonnement volontaire et libératoire, une parousie extatique, une longue mise à l'épreuve exaltante et déterminante, un devoir d'obéissance et d'abnégation. 

 

" Rien ne sert de vous faire languir davantage. Ce soir aura lieu le baptême du feu, le début de votre noviciat.

C'est l'anniversaire d'Oncle Georges qui devient octogénaire. Plus qu'une cravate ou une boîte de chocolat, je pense vous offrir en cadeau à cet homme gourmand et séducteur.

Si certains de ses amis demandent à partager le présent, vous ne vous en offusquerez en rien et veillez à participer avec la plus grande célérité à la réalisation de leurs fantasmes les plus immédiats.

Je serai présent sans participer à cette fête nocturne et noterai sans indulgence tout manquement et toute ardeur déficiente.

Je vous envoie une voiture. Soyez prête, ouverte et serviable !"

Bérenice relit pour la dixième fois le texto que Monsieur R. lui a envoyé à l'instant. L'ordre de se prostituer sans broncher, de participer à une orgie de seniors, de devenir la proie de vieux messieurs libidineux qui jouiront de son corps avant de s'endormir épuisés.

La jeune femme ne peut s'empêcher de frissonner à l'idée d'être jetée en pâture à des inconnus grisonnants. Elle songe à quitter sa chambre, repartir incognito dans la foule parisienne, acheter un billet pour revenir dans ses pénates bordelaises pour se protéger.

Mais le moindre mot de Monsieur R. est réfléchi, la guide vers des recoins obscurs et malsains de son appétence charnelle. De tout temps, elle a été vivement excitée par ce qui la rebute le plus, tout ce qui s'éloigne de son image froide de princesse désincarnée.

Elle a toujours été indifférente au sexe normal, aux séances matrimoniales classiques, aux compliments défraîchis.

Elle se rémémore son trouble si honteux, quand lors d'un déplacement professionnel dans le tram elle vit cet homme malpropre et vulgaire qui se branlait frénétiquement devant deux lycéennes effrayées. Elle ne comprit pas son excitation si vive , celle qu'elle dut calmer dans le silence de sa voiture aussitôt sortie. Elle ne chercha pas non plus à analyser davantage mais le souvenir de cet épisode lui chauffait encore les joues et humectait ses cuisses.

Deux coups à la porte l'avertissent que l'heure est venue. Elle reconnait l'homme du train qui se contente de lui faire signe du menton.

L'heure est venue d'entrer en scène, de prouver son aptitude à Le servir, celle à devenir l'objet de son désir.

Bérénice ne se souvient pas du chemin, de l'adresse. Tout est si confus, cotonneux.

Elle est conduite dans une salle à part décorée de ballons retenus par des rubans brillants.

Tout ici respire la misère, l'hygiène normée. Les rideaux sont coupés dans un tissu bon marché, le mobilier éraflé à moindre coût. Des gobelets en plastique qui font des ronds sur le mélaminé et du mauvais vin qui pique le palais.

Derrière les tables sont alignés des fauteuils où bavent les vestiges d'une génération antérieure. Des hommes sans passé, sans histoire qui viennent ici mourir, à l'abri des regards oublieux de leurs enfants. Une odeur fécale mariée aux détergents anonymes flotte avec insistance dans un air épais.

Quelques rires fusent, étouffés par des quintes de toux rauques.

Au fond, à la place d'honneur, un vieillard lui sourit, lui demande de le rejoindre. A ses côtés, Monsieur R. qu'elle reconnait sans jamais l'avoir vu. Il la regarde avec bienveillance, sans sourire.

Bérénice s'avance, quitte son pardessus, se dévoile dans sa nudité totale. Aucun artifice n'est nécéssaire.

Elle attrape une chaise, s'assoit avec indécence au milieu de la tablée. Elle écarte ses jambes en vrai animal de plaisir, s'expose aux regards fiévreux et perplexes . Elle revéle le rosé nacré de sa chair, devient l'orifice commun, celui dans lequel l'homme se perd avec le désespoir véhément de celui qui veut survivre. Elle devient la catin universelle, celle qui donne le vertige existentielle, l'envie de crier sa volonté de résister à la face du monde.

Ici tout pue la mort, l'oubli, le politiquement correct. Bérénice veut que cette soirée perdure, étincelle de vie dans les souvenirs de ces morts en devenir.

La princesse choyée et dorlotée se met en péril, se livre aux appétits hésitants de ces membres virils qui tressautent encore malgré eux. Dans leur ventres renaissent des pulsions oubliées, une vigueur timorée, une envie de vivre incertaine.

"Viens me sucer petite pute ! Que je sente encore une fois ma queue devenir dure..."

"Ecarte-toi plus encore que chacun puisse te posséder encore plus loin que tu ne veuilles te montrer."

Bérénice triomphe. La vie pulse de nouveau dans ces verges fripées qu'elle engloutit une à une. Elle ne refuse rien, se laisse pénétrer par ces hommes qui jouissent trop vite, ne peuvent plus tenir longtemps.

Elle exulte sous les insultes qui la traînent dans la fange. Elle gémit sous les assauts maladroits qui veulent la perforer, la soumettre. Son corps privé tant de temps exulte. Elle s'ouvre, épanouie sous les coups, des doigts enfoncés en elle.

Elle se sent contrainte, humiliée, prise sans merci.

Oncle George remplit sa bouche, avec violence et grossièreté. Elle le rend vivant, vibrant, heureux. Le vieil homme s'arqueboute en lui enfonçant son sexe au plus loin en proférant des injures qui disent merde à Dieu et au monde entier.

Elle reçoit sa sève hivernale, s'oblige à l'avaler, le caresse encore un peu avant de faire jouir un gentil grand-père qui ouvre de grands yeux éplorés.

Monsieur R. la regarde intensément, un feu dans la prunelle. Un sourire apparaît à la commissure de ses lèvres.

L'examen est réussi.

 

 

 

 

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