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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
27 novembre 2013

La vestale du phare (première partie)

 

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Damien vit dans une gentilhommière à l'écart des Autres, cette populasse anonyme et si commune. Il n'a plus besoin du monde, lassé de l'artifice et des simagrées de ses contemporains.

Après avoir hanté sans retenue des soirées dites à thème, masquées où des corps sans visage sont offerts, mis à disposition et souillés, il s'attache désormais à vivre plus intensément, ne trouvant plus d'intérêt dans ces mises en scène ennuyeuses et répétitives.

 

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Il en a passé des heures, assis dans un fauteuil, bien habillé, à observer de jeunes soumises agenouillées, silencieuses et craintives, poupées animées obéissantes livrées aux envies grossières de leurs dits propriétaires.

 

S'il en a parfois apprécié le spectacle, il n'a que rarement eu envie de participer à ces agapes charnels.

La vie d'homme marié le fait bâiller. Il se refuse à rester avec une seule femme et plus encore à se laisser envahir par une marmaille morveuse égoïste et vorace.

Les années ont passé si vite entre ses rendez-vous professionnels, ses interrogations, ses aventures tristement banales et aussitôt oubliées.

Les femmes baissent moins les yeux en le voyant dans la rue, ne rougissent plus autant sous le feu de son regard; elles ne se retournent plus sur lui en lui souriant si triomphalement.

L'âge à fissuré sa peau, grisé sa chevelure et sa barbe. Sa haute stature se tasse, ses mains se tavelent.

D'avoir trop apprécié les femmes sans avoir su en aimer une, d'avoir tant pénétré de corps, de s'être perdu dans l'illusion, de chercher encore et toujours, de multiplier les conquêtes, il a cru être heureux lors de rares instants fulgurants.

Cru entrevoir la Beauté absolue, pleine et douloureuse, cru pouvoir rester au sommet de l'émotion, cru pouvoir rendre éternelles ces trouées de jouissance pure, drogue dure dont le corps et les sens ont une nostalgie permanente.

 

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Ne lui restent qu'une saveur amère d'impuissance, des souvenirs fugaces, la fragrance de cette robe d'été chiffonnée et jetée à terre, des instantanés lumineux et juvéniles qui se mélangent un peu à dire vrai.

Une grande solitude que Damien ne veut pas admettre se cachant derrière un cynisme dévastateur, une élégance qu'il veut aristocratique, une préciosité un peu dédaigneuse.

Une vacuité, une interrogation presque métaphysique sur son utilité, sa place réelle dans cet univers qu'il n'a jamais vraiment compris, dans ce monde qui le rejete et ne le considère pas.

Il sort parfois de son antre silencieuse et morose pour se perdre dans les vertiges de la ville.

Sans but et sans attente particulière, il aime vagabonder, regarder toutes ces femmes qu'il ne possédera jamais, dont il contemple le corps indécemment, les moues, tout ce qui fait l'essence féminine.

Il se poste auprès de donzelles frémissantes, submergées par des élans érotiques dont elles ne maîtrisent pas la portée, boit leurs paroles, les cajôle du regard.

La courbure de leurs nuques graciles, une ombre pailletée  sur une paupière, un geste de main pudique et délicat qui retient une robe soulevée par le vent, le claquement agressif et conquérant d'un talon l'ébranle, le comble un court instant.

 

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Taciturne et sombre, ange noir, il effraie celles qu'il convoite bien inutilement. 

Esthète silencieux, il vogue au gré des rues, s'arrête devant les vitrines, voyeur honteux, couve du regard cette petite brune qui tente d'oublier le vide de son existence en essayant des paires de chaussures exhibées fiérement sur une pile de cartons neufs.

Il sourit devant cette blonde qui parade si niaisement et pourtant si charmante avec cette robe qu'elle plaque sur son corps pour en vérifier la longueur, s'imaginer l'effet produit avec cette étoffe sur elle en se dandinant toute seule.

Il erre dans les travées des grands magasins, hume les parfums, se cache dans le rayon de lingerie pour se repaître de ses envies inavouées, ses rêves éveillés.

Il détaille toutes ses jambes gainées, ses mollets imparfaits qui trottinent, montent et descendent inlassablement les escalators.

Une attraction qui n'a pourtant qu'un temps et l'ennuie rapidement.

Toutes ses femmes engluées dans leur quotidien fade et normé ne l'enthousiasment pas. Aucune envie d'en suivre une plus mutine ou plus entreprenante que l'autre.

Pas envie d'en caresser une avec ardeur dans une cage d'escalier ou un cagibi de fortune, de jouir d'elle dans l'ombre interdite et excitante d'un lieu public.

Damien ne sait pas ce qu'il recherche, passe en revue toutes ces dames affriolantes qui pourraient réceler l'ultime trésor dont il pressent douloureusement la présence et qui l'oblige à rôder, à quêter.

 

Ce matin de décembre, gris et brumeux à souhait, il se décide à faire quelques courses dans ces temples de Baal clinquants, sans envie particulière, pour juste continuer à vivre en bonne santé, sans but .

Voir les jours s'enchaîner, matin, midi et soir en espérant que le jour suivant sera plus savoureux.

Se traîner d'une activité à une autre, jouer un rôle dans une existence qui n'est pas tout à fait la sienne, continuer à berner les autres, leur faire croire que l'on peut se contenter du médiocre en toute impunité, sans jamais oser briser l'omerta sacrée.

 

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Rayon des surgelés. Pitance de pays aseptisés.

Grand dilemne entre la grillade océane et la quiche lorraine sous plastique, préparés  à flux constant sous le sceau du secret d'une industrie alimentaire opaque et hygiéniste.

Soupirs désabusés de Damien qui ouvre l'armoire réfrigérée pour s'emparer du petit paquet en carton coloré.

Une main féminine à son côté.

Un geste fatigué, languide. Une main de courtisane ennuyée, indolente, indifférente à ce qui lui arrive.

Des ongles courts, naturels, des doigts assez communs. Pas de grâce particulière, un geste qui aurait pu passer inaperçu.

L'homme suspend le sien pour se retourner, intrigué.

Il rencontre le regard d'une femme lasse, visiblement épuisée, marquée par l'insatisfaction et la tristesse.

Moment suspendu, ralenti comme dénué de chair, de temps, de vie.

Respirations fortes, sonores, saisissement presque effrayé, méfiance teintée de stupeur....

 

Cécile a comme d'habitude attrapé son sac à main, pris les clefs accrochées derrière la porte, appelé les garçons pour la dixième fois d'une voix exténuée, remonté le col de son manteau et pris le sac à provisions.

Portières de la voiture ouvertes, garçonnet attaché à l'arrière, le plus grand devant serrant sa raquette de tennis.

Tableau idyllique de la famille heureuse, activités ordinaires bien cadrées d'une femme ordinaire et d'une mère attentive. Une heure de libre qu'elle mettra à profit pour remplir le frigo dévasté par les sauterelles domestiques, plaies d'Egypte perpétuellement affamées.

 

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Cécile ne sourit plus, n'aime plus, ne vit plus.

Mariée par hasard, mère par erreur, elle tente vaillamment de donner un sens à sa vie, fait semblant de rire pour accepter. Tout est contrôlé, calibré méticuleusement.

Elle a toujours à faire et le peu de temps qu'elle veut bien s'accorder sert à pleurer sur elle même,loin des autres et de leur liesse.

La pondération et la tiédeur du confort matériel auront eu raison de son tempérament passionné.

 

 

Cécile pousse son chariot, réprimande doucement son fils, attrape une petite bouteille de champagne. Elle la boira ce soir quand les enfants seront couchés. Son mari est en déplacement.

L'heure des démons où le vice affleure.

L'heure où elle maquillera son visage, s'habillera pour un amant qui n'existe pas, où elle dansera sans bruit, sa flûte à la main, en équilibre sur ses talons hauts qui n'alimentent plus que d'épisodiques fantasmes édulcorés.

Enivrée par la musique et les bulles, elle se livrera à d'intimes caresses, deshinibée par l'alcool qui fouettera ses veines, relévera sa jupe puis en s'allongeant sur le sol, s'écartera et se cambrera, jouissant désespérement en rêvant de Celui qu'elle ne trouvera jamais.

Condamnée sans sursis, pétrifiée, écoeurée de ne pas trouver le courage d'abandonner sa défroque de femme convenable, elle excelle dans la dissimulation, s'évertue à se croire normale, à se repaître piteusement de loques de bonheur.

 

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Elle continue ses courses, attrapant machinalement des produits aux couleurs tapageuses.

"Pour ce soir, une ou deux pizze suffiront bien. Les enfants seront contents et cela ne me fera pas trop de travail en cuisine "

Elle se poste par automatisme à côté de ce client anonyme aux épaules massives, indifférente et déjà découragée à la perspective de préparer le dîner.

Il faut penser à payer la cantine, appeler sa mère qui meurt de solitude, chercher le paquet à la Poste, ne pas oublier l'anniversaire du petit, de la cousine, de la voisine.

Elle avance la main vers les surgelés, rencontre le regard de cet d'homme d'âge mûr.

Belle prestance presque martiale, musculature animale masquée par un manteau de prix, volonté farouche,refus des compromis.

Une force virile invisible et pourtant si manifeste.

Cécile reste bouche bée, captivée par ce magnétisme si inhabituel, si incroyablement érotique.

Surtout goûter pleinement l'instant, couper sa respiration. Espérer le prolonger aussi longtemps que possible

 

 

 

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Commentaires
E
Un début de nouvelle si désabusé que cela donne froid dans le dos... Heureusement que je peux de suite aller à deuxième partie ;)
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K
Un début très élégant, même si les vies de chacun des protagonistes semble triste et banal à souhait (mais tellement réaliste). On sent cependant que la suite n'en sera pas de même ... Content de voir que l'inspiration revient Flore.
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