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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
28 avril 2013

Les Cinq sens / L'odorat: Smell of desire

 

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«  J’adore tout ce que vous faites ! C’est toujours un enchantement quand un de vos parfums sort… »

 

Gloussements discrets, minauderies de bon aloi, froissements de bustiers, de taffetas, cliquetis de bracelets, doigts qui tordent nerveusement les perles d’un collier, yeux ourlés de noir charbonneux, compliments usuels, usés jusqu’à la trame.

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Aymeric Des Esseintes se tient une nouvelle fois dans le salon de sa parfumerie à la veille de la commercialisation de son nouvel opus, sourit affablement, répond avec grâce.

 

Créateur de parfum haut de gamme, poète et esthète, il affectionne les belles femmes, les beaux atours et les arômes rares.

Gâté par les dieux, il est doté depuis son plus jeune âge d’un nez exceptionnel, d’un physique avenant, de manières exemplaires, d’un sens aigu de la beauté.

 

Mais aujourd’hui le plaisir habituel de se montrer n’est pas au rendez-vous. Il regarde d’un air sévère ces créatures divines papillonner sous les lustres de son cabinet et réprime un bâillement d’ennui intense…

 

Ses paupières se ferment. Le parfumeur soupire de dépit.

Il se remémore d’intenses chasses sensorielles où il traquait l’odeur extraordinaire, celle qui saurait faire chavirer son cœur, chatouiller ses narines blasées, combler son envie de merveilleux.

Il a parcouru le monde, sentant des milliers de corbeilles de fleurs, reniflant  à l’envi épices et bois précieux. 

Il a arpenté  des milliers d’hectares, flatté, sermonné, menacé ses fournisseurs, rendu visite à d’obscurs paysans perdus dans les endroits les plus reculés du globe.

 

Des champs de lavande mauve, des roseraies baignées de rosée, des exploitations de jasmin étoilé, des jardins d’iris aux pétales échancrés, des océans mouvants de fougères dentelées, des tapis de lichens, des exploitations de vanille, des vergers aux fleurs virginales…

 

Aymeric se souvient du jour ensoleillé et béni où il eut l’idée géniale de vouloir embouteiller les fragrances des villes mythiques.

 

Il erra alors  dans les rues des métropoles occidentales, attentif à segmenter patiemment les odeurs qui l’assaillaient, à  surtout ne pas oublier un élément qui ruinerait l’alchimie fragile qu’il élaborait au fil des jours.

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Il se souvint des errances dans les ruelles des médinas, enivré par les effluves de gaz d’échappement, l’odeur prégnante d’urine, les humeurs de la cité déversées dans le caniveau, les accords graciles des fleurs de bigaradiers, le cuir à peine tanné et les accents orientaux de l’encens brasillant dans des soucoupes en terre cuite. Tout un univers olfactif qu’il réussit à encapsuler, à recréer derrière son orgue à parfums.

Une invitation au voyage fantasmé, ode aux rêveries exotiques, à l’ailleurs improbable.

 

Puis il se pencha sur les jus historiques, collecta d’anciennes formules et réédita les parfums des cours européennes. Il retrouva ainsi  des recettes italiennes et françaises oubliées dans les archives nationales qui eurent un succès inattendu.

 

Aymeric aurait pu vivre ainsi, connu et reconnu par les grandes familles, brillant dans la belle société internationale.

 

Mais il se penche désormais sur son sujet fétiche et se met en quête du Graal. Il s’applique à décrypter l’essence même de ce qui fait la féminité.

 

Celle qui le fait vibrer, flancher.

 

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Il participe activement à la reconstitution de l’odeur si particulière des femmes allaitantes dans le cadre d’un projet expérimental. Une substance indicible et volatile qui stimule le désir chez les femmes en mal d’enfants.

 

Une envie sociétale qu’il essaie de retranscrire, de restituer caché derrière ses flacons précieux. Une harmonie subtile, inédite, une combinaison d’accords naturels, archaïques.

 

Depuis, le parfumeur s’attelle en secret à composer le parfum du plaisir, l’odeur du désir.

 

Grand voyageur, il a séduit bon nombre de femmes qu’il a humé avec attention, délectation, cherchant à percer le secret de leur peau, à  en déchiffrer le parfum entêtant et animal.

 

Il  a enfoui son nez dans des vagues de chevelures, s’est attardé dans des contrées plus âcres et odoriférantes, retranscrivant fébrilement en notes de tête ce qu’il sent quand elles s’abandonnent enfin.

 

Il a recueilli des centaines d’échantillons, a volé des dessous, coupé des mèches, raclé la peau de ses conquêtes, assisté à de nombreux ébats, prélevé sueurs et sécrétions sur des femmes soignées et plus négligentes.

 

Sans succès aucun si ce n’est une impressionnante collection d’objets hétéroclites qu’il conserve dans des bouteilles et bonbonnes en verre.

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Ses heures libres, il les passe à distiller dans son laboratoire, entouré de cornues et d' alambics, à chercher sans répit ce qu’il sait être son œuvre magistrale.

 

Quelle femme ne rêverait pas de s’asperger de ce parfum capable d’éveiller les appétits charnels des messieurs du monde entier ?

Une exhortation à l’orgie, au vice policé, à la communion voluptueuse….

 

Aymeric cherche, tourne en rond, désespère de trouver le parfum philosophal.

 

Il rouvre les yeux.

 

Il a flairé une odeur ténue de luxure, une odeur de femme lascive camouflée sous les odeurs capiteuses d’un parfum bon marché.

Aux aguets, il se redresse, attentif comme un chasseur à l’affût, mains dans les poches de son costume.

 

Il balaie la pièce du regard, ouvre ses narines et hume l’air ambiant.

 

La voilà ! Là derrière le buffet, serveuse modeste en uniforme noir et blanc, en retrait de la vanité des invités.

De grands yeux bleus mélancoliques, une bouche gonflée, des attaches fines, un sourire plaqué, des cheveux blonds relevés en un chignon mal ficelé… et surtout une odeur corporelle singulière, musquée et fruitée qu’Aymeric n’arrive pas à déterminer.

 

Insensiblement, il s’avance, fait mine de saluer ses clients et s’approche de la table. Il fixe intensément la femme qui s’affaire à servir. Il plisse les yeux, penche la tête, la scrute sans vergogne, indifférent désormais à ce qui l’entoure.

 

Cette femme n’a rien de particulier. Pas de charme indéniable. Rien que de très ordinaire.

Un mystère pour le parfumeur qui ne peut détacher son regard.

 

Elle lève enfin les yeux vers lui, interloquée

 

«  Je peux vous servir quelque chose ? » demande-t-elle un peu apeurée devant ce regard brûlant qui la déshabille. Elle lève les yeux, le fixe et attend que l’homme si élégant lui réponde.

 

D’un geste assuré, il lui sourit, avance sa main, attrape une de ses mèches et la replace derrière son oreille. Puis il laisse ses doigts courir sur la ligne de son cou, remonte vers son menton et caresse de son pouce ses lèvres. Il regarde sa main, l’approche de son nez et renifle profondément, avec beaucoup de concentration.

 

« Votre nom, je vous prie » demande-t-il d’une voix grave, un peu enrouée par l’émotion.

 

- Amandine ! 

 

- Aussi beau qu’un arbre en fleurs, que l’essence  gourmande d’amande amère qui parfume délicatement les laitages, les pâtisseries de notre enfance. Poudre exquise des galettes de l’épiphanie à la senteur de vanille….

Voudriez-vous me suivre s’il vous plaît ? J’aurais un travail à vous proposer. Bien payé ! » dit-il un peu abruptement, un peu méprisant, frottant nerveusement ses mains l’une contre l’autre.

 

La  femme, habituée à l’obéissance, le rejoint bientôt, lui emboitant le pas.

 

Aymeric ouvre une porte dérobée, l’enjoint à le suivre, à quitter le salon bruyant.

 

Le silence les enveloppe désormais.

 

Seule la respiration un peu précipitée d’Amandine se fait entendre. Il s’efface devant elle lui montrant les escaliers. Elle gravit promptement les marches tandis que le parfumeur la suit de près,  enivré de sa fragrance.

 

Troublée par ce jeu dangereux, Amandine se sent devenir plus accueillante. Son pouls s’accélère, ses mains transpirent et son corps devient brûlant.

 

L’odeur s’intensifie. Aymeric la sent toujours davantage.

 

Aphrodisiaque puissant.

 

Il a du mal à garder une contenance normale, voudrait se jeter sur cette serveuse, la prendre sauvagement, la contraindre à subir son envie bestiale.

 

Enfin son laboratoire.

 

Elle entre intimidée dans l’antre du grand parfumeur, s’approche lentement des étagères, laisse glisser ses doigts nonchalamment sur les bouteilles en verre, lève les yeux vers l’homme qui la dévore du regard, appuyé sur la porte.

 

Plus aucune fuite n’est envisageable. Elle est à la merci de ce bel homme. Prisonnière.

 

Cette simple pensée la rend humide, la transporte.

 

Et délicatement , alors qu’il reste silencieux, elle détache ses cheveux, fait tomber à terre veste, chemisier et jupe.

Bientôt nue et triomphante, elle reste immobile attendant un signe de vie du parfumeur parfaitement immobile.

 

L’air est saturé du parfum naturel de cette femme extraordinaire.

Une explosion harmonieuse de senteurs alléchantes, provocantes assaille les narines  d’Aymeric jusqu’alors désabusé.

Déferlement de notes tour à tour fruitées, épicées, marines et sylvestres. Une symphonie érotique qui le fait gémir d’envie.

 

Il s’avance enfin, un linge délicat à la main et s’agenouille devant elle.

 

Sans un mot, les yeux fermés, elle le laisse éponger la légère sueur qui la couvre, la frictionner doucement.

 

Aymeric est pris de vertige. Cette femme est une palette singulière, un mélange olfactif dément. Il frise la folie, ne peut plus retenir la formule secrète de cette déflagration harmonique et volatile qui ne cesse de se renouveler, dans une succession ininterrompue de notes originales.

 

Il abandonne enfin, lui agrippe le cou, la couvre de baisers ardents.

 

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Collée contre lui, elle se frotte à son costume, imprégnant le tissu de son costume d’une odeur capiteuse, animale.

 

Victime consentante, elle s’abandonne à ses morsures passionnées, se déploie, s’entrouvre pour l’introduire en elle.

Déesse païenne, elle resplendit, beauté antédiluvienne.

 

Aymeric est pris de panique.

 

L’odeur qui monte désormais est celle qu’il a toujours recherchée, celle du désir pur, une concentration de tout ce qui fait la grâce de cette femme.

 

Un mélange diffus de séduction, d’effronterie, de pleurs séchés, d’amours éternels brusquement écourtés, de regrets, de frustrations,  d’envies dissimulées…

 

Des images, des formes  défilent sous les yeux du parfumeur alors qu’il s’évertue à pénétrer davantage ce corps si volubile.

 

Le temps, l’univers n’existent plus  se rejoignant dans une valse charnelle si intense que le parfumeur capitule, submergé par l’émotion, rendant grâce à cette femme offerte, crucifiée.

 

Quant enfin, une senteur admirable, parousie, apothéose extatique l’envahit. Une merveille entêtante qu’il sait ne jamais retrouver dans cette vie l’enveloppe, l’absorbe.

 

Dans un cri ultime, il abdique et s’effondre, fauché par la révélation et le plaisir.

 

Amandine lui caresse amoureusement la nuque alors qu’il reprend son souffle.

Elle se dégage doucement, reprend ses effets, se rhabille et sourit en l’embrassant doucement

 

Aymeric lui rend son baiser en l’étreignant avec passion. Il inspire fortement voulant sentir une dernière fois l’odeur de sa peau échauffée.

 

Plus aucune senteur ne s’élève.

Perte irrémédiable de l’odorat.

 

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Commentaires
F
Chouette une fille!! Merci à toi Irina pour ton commentaire....
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I
J'étais transportée par ce récit. Il résonne vraiment en moi car je crois que ce sont les odeurs plus que tout autre chose qui me rendent folle en amour.
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K
Perso je ne sais pas quel est le pire parmi la perte des sens. La vue doit être terrible mais l'ouïe aussi. Et encore pire, la combinaison (genre vue et ouïe) !!!<br /> <br /> A ce sujet, visionnez le film "Perfect sens" qui est ... parlant ;-)
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F
Merci beaucoup les garçons !!<br /> <br /> C'est gentil à vous....Toujours fidèles et flatteurs ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Difficile en effet de faire plus original et mieux écrit que Süskind !!!<br /> <br /> Mais là c'est une autre méchanceté que Grenouille dévoré par la foule, perdre son nez ce doit être une abomination....
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E
Quel beau texte, savoureux (histoire de changer de sens ;) ), très très bien écrit !<br /> <br /> Tu as trouvé là un nouveau filon qu'il te faut maintenant exploiter jusqu'à son terme pour le plus grand plaisir de tes lecteurs :)
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Faunes & Flore
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