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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
4 février 2015

Les pastels

"O bienheureux celui qui peut de sa mémoire

Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire

Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs

Et qui, loin retiré de la foule importune

Vivant dans sa maison content de sa fortune

A selon son pouvoir mesuré ses désirs"

(Stances sur la retraite- Racan)

 

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Jean gara sa voiture près de l'église. Il faisait beau et son travail allait pouvoir avancer. On lui avait appris sosu le sceau du secret que deux portraits au pastel se trouvaient dans une chapelle anodine d'un petit vilage reculé.

Personne ne les connaissait et aucune recherche n'avait encore été effectuée. Jean pensait trouver là matière à nourrir son ambition maladive.

D'intelligence moyenne et doté d'une capacité de travail médiocre, il avait toujours réussi ses épreuves universitaires sans véritable brio.

Cependant, il aimait l'art plus que tout mais il n'avait pas pu entrer dans l'administration du Ministère de la Culture de façon permanente. Il vivotait ainsi de missions en missions, errant à travers une France déchirée par la crise et "la facture sociale", recherchant une renommée chimérique.

Depuis ses 35 ans, il avait compris qu'il valait mieux abandonner ses rêves de gloire. Il se contentait désormais de tâches obscures à l'inventaire du mobilier et écrivait pour le compte d'un conservateur plus brillant.

 

Jean prit  dans son coffre son appareil photo et s'arrêta devant la porte proprette du cimetière. "Fermeture à 18 heures l'hiver. Parfait ! J'ai tout mon temps!" Il entra et jeta un rapide coup d'oeil sur les rangées de tombes.

" C'est bougrement petit, ici !  Bon, notre affaire se trouve dans une chapelle. Donc, là-bas !". Il délaissa les larges dalles de marbre poli pour rejoindre la partie la plus ancienne où l'oubli régnait en maître.

Partout, des croix de pierres et des simulacres de colonnes antiques attaqués par les lichens gisaient au sol, des angelots au visage rongé priaient pour le salut d'âmes enfantines, des cénotaphes de personnalités hypocritement embrassées s'étaient effondrés sur les regrets éternels et l'affliction perpétuelle de la famille voisine.

Jean aperçut la grille rouillée de la chapelle et actionna la poignée qui faillit lui rester dans la main. La porte s'ouvrit sur un fatras incroyable de couronnes de perles défraîchies et décousues, bouquets en tissu effiloché, Vierge mutilée, Christ crucifié démembré et vitraux défoncés.

Au mur se détachait la mine honnête et sévère d'une femme dérangée. "Le modelé de sa bouche est admirable. Cet artiste avait quand même du talent".

 

Jean décrocha la toile et chercha son pendant. Rien en face. Derrière la porte, il y avait bien un cadre mais dans un piteux état. Jean dépoussiéra la vitre et la couche séculaire lui dévoila un oeil. Il fut pris de peur et faillit lâcher prise.

"En voilà donc des frayeurs de gamin" se dit-il. Il se souvint à cet instant des kilomètres de pellicules peuplées de loups-garous, de vampires, de fantômes, des vérifications méthodiques sous son lit et dans l'armoire.

Jean dut pourtant se ressaisir pour mener à bien ses prises de vue. Après avoir tout nettoyé, il remis les portraits à leur place.

" Il y a une odeur bizarre que je n'avais pas remarquée tout à l'heure". Il pensa alors aux corps sous la pierre et partit brusquement.

"Je deviens facilement impressionnable. Je ferai bien de rentrer prendre une douche, histoire de me changer les idées. Isabelle doit d'ailleurs m'attendre". La pensée de sa compagne et de sa petite fille chassa ses idées sombres.

 

De retour chez lui, il trouva Isabelle endormie mais le repas au chaud. Cependant, était-ce la poussière de cette après-midi mais tout lui semblait avoir une odeur de pourriture infernale ? Il avala son dîner à contre-coeur et partit se coucher. Au milieu de la nuit, l'odeur lui fit ouvrir les yeux.

D'où diable pouvait venir cette puanteur ? Il se retourna et vit qu'Isabelle n'était plus dans la pièce. Intrigué, il la retrouva au salon. N'osant pas la déranger, il décida de développer ses films. Les photos étaient particulièrement réussies. Jamais il n'avait pu avoir une définition de cette qualité. Isabelle s'était éveillée et le regardait fixement.

"Alors j'ai ronflé ? J'ai vu que tu t'étais réfugiée sur le divan." Elle ne répondit pas et semblait extrêmement génée. Elle devait lui en vouloir pour le week-end qu'elle avait dû passer seule.

Jean plaisanta sur l'odeur persistante qui avait envahi leur appatrement.

Isabelle respira profondément et se décida à parler, très vite, sans reprendre son souffle. " Tu sais, Jean, cette puanteur, elle est là depuis hier soir. Elle s'est intensifiée dans la nuit. J'ai cru d'abord que j'avais oublié une poubelle ou qu'une charogne apportée par le chat pourrissait quelque part.

Cependant, tu ne vas pas apprécier mais l'odeur ne vient pas de dehors ou d'un objet extérieur, mais elle vient de ....TOI..."Jean, abasourdi, ne comprenait plus et il pensa qu'elle lui cherchait querelle pour lui reprocher son absence. Mais, en discutant, à chaque pas vers elle, Isabelle reculait, le visage dégoûté.

A l'aube, il dut admettre l"évidence et décida d'aller consulter un médecin afin d'expliquer rationnellement ce malheur subit.

 

Plus les heures avançaient, plus l'odeur putride s'intensifiait.

Il obtint en urgence un rendez-vous à l'hôpital.Il observa avec horreur l'attitude de recul des infirmières à l'accueil. Il pouvait lire dans leur regard une profonde aversion et une immense pitié.

Comment un homme pouvait inspirer pareil écoeurement ?

Une demi-heure plus tard, Jean était hospitalisé à l'écart. Diagnostic : maladie inconnue et terrifiante. Sa recherche de la célébrité et de l'originalité était exaucée.

Un sourire amer lui déchira le visage. Sa déchéance physique était inéluctable et ne se voyait pas. Jean était un nouveau Dorian Gray sans vices et sans envergure. Les ravages de son mal ne se lisaient pas sur un portrait peint mais décomposaient férocement son organisme.

Peut-être dans une autre existence, aurait-il droit à une mort sereine  et raffinée, parfumée par les lys, les baumes et les onguents, dans des draps frais ?

 

 

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