Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Faunes & Flore
Derniers commentaires
Newsletter
Faunes & Flore
10 avril 2013

Wandering ghost

 

A dreaded sunny day

So I meet you at the cemetery gates
Keats and Yeats are on your side

A dreaded sunny day
So I meet you at the cemetery gates
Keats and Yeats are on your side
While Wilde is on mine 

Cemetery gate-The Smiths

stagli10

Le soleil de juin effleure les jambes dénudées d’Audrey.

 

Un mouvement furtif à sa droite.

 

Ce n’est qu’un chat abandonné qui vient lui rendre visite, les moustaches ébouriffées, le poil un peu collé.

Surgi de nulle part, de l’anfractuosité d’une pierre tombale ou d’un trou d’ombre dissimulée sous des lianes opaques de lierre.

 

Il se frotte à ses mollets quémandant une marque d’affection  de son corps famélique.

 

Audrey sourit, pose son livre et le gratte sous le menton. Le matou ronronne, se couche et se roule sur le dos de plaisir dans de grandes volutes de poussière.

 

Puis lassé, il la regarde une dernière fois, disparaît de nouveau laissant la femme seule, assise sur une tombe.

cimetiere-amour-collection_2717375

 Interlude dominical.

 

 Comme tous les dimanches baignés de lumière, Audrey aime flâner dans le jardin des regrets éternels, la terre officielle de la peine, ultime havre de tranquillité dans le tissu urbain.

 

 Champ stérile où ne poussent que des sépultures minérales et prétentieuses égayées par des jarres de fleurs synthétiques ou des couronnes périssables, des babioles  qui s’effritent sous les frimas et s’étiolent au fil des saisons.

 

 De loin en loin  surgissent des anges plongés dans une affliction élégante, des statues féminines habilement drapées et gémissant sensuellement, des croix dressées, des cénotaphes imposants.

15grand

Un parterre funéraire où les morts chuchotent et grimacent sous les dalles et la terre fraîchement remuée.

 

Audrey a aimé de tout temps venir dans ces jardins mortuaires, se draper dans le silence qui règne dans les allées soigneusement entretenues ou lire dans les concessions laissées à l’abandon, dans les herbes folles et les bordures rouillées.

 

Elle se réfugie aussi quand le temps se couvre dans les chapelles familiales, les caveaux familiaux pompeux, témoins d’une gloriole tombée dans l’oubli.

img_0811-copie

 

 

Audrey vient tenir compagnie aux défunts, les réchauffer de son corps délaissé.

 

Elle n’est pas vraiment belle

Elle ne sait pas se mettre en valeur et ne le désire pas vraiment.

 

Elle préfère rêver, passer son temps à lire, à regarder autour d’elle.

 

Témoin silencieux de son époque, elle observe et attend.

 

Assise sur une pierre tombale en marbre noir de la partie récente du cimetière, elle se laisse embrasser par la chaleur de l’été qui s’annonce. Elle ne porte rien d’autre sous sa robe que sa chasteté non désirée. Son corps jouit de la cuisante morsure du soleil alors au zénith.

 

Une ombre se couche sur elle.

 

Sa chair frémit, frissonne sous l’étoffe légère. Elle ouvre les yeux, reste éblouie.

Une main en visière, elle tente de regarder ce qui lui cache le soleil.

 

Un homme la regarde, pieds ancrés dans le sol, mains dans les poches, l’air goguenard, un appareil photographique en bandoulière.

 

« Désolé de vous interrompre. J’aurai besoin de faire un cliché de cette tombe en particulier » dit-il d’un ton rieur.

 

Audrey s’empourpre, ramasse gilet, lunettes de soleil et livre pour se lever précipitamment.

Ses sandales glissent un peu sur les gravillons. Elle se tord légèrement la cheville, s’excuse et laisse la place en baissant les yeux.

 

Elle s’éloigne doucement pour laisser le photographe officier mais ne peut s’empêcher de se retourner pour regarder cet homme singulier.

 

Très pâle, les cheveux sombres, il tire un peu la langue, s’applique à ne pas bouger.

 

Rafale de photos, cliquetis de l’obturateur, concentration extrême.

 

Audrey s’interroge sur l’intérêt de cet homme pour cette tombe qui n’a rien de particulier. Peut-être le défunt est-il une de ces connaissances, une personnalité locale?

 

Toujours est-il que l’homme est absorbé dans son travail.

 

Audrey le couve du regard, admire ses attaches fines qui émergent d’un joli pull bleu clair, ses jambes musclées soulignées par le tissu bâché d’un pantalon de baroudeur, ses petits cheveux bruns en bataille, sa nuque gourmande.

 

Elle sent son ventre se contracter, commence à laisser son esprit divaguer. Sa bouche s’entrouvre, sa langue lèche nerveusement ses lèvres fiévreuses.

 

Le désir s’empare d’elle.

Ses mains se perdent sur le coton fleuri de sa robe à bretelles. Ses jambes se serrent, se frottent lascivement.

 

L’homme se raidit, renifle profondément, ferme les yeux, serre les points et soupire d’aise.

Il se tourne vers elle, humant l’air avec volupté.

 

Audrey est troublée par sa réaction animale. A croire qu’il flaire son envie intime, qu’il renifle gravement la fragrance de sa concupiscence.

 

A peine le temps de reprendre sa respiration que le voilà devant elle.

 

Elle lève les yeux timidement vers cet objet de désir, vulnérable et consentante.

 

Audrey sent les doigts de l’inconnu parcourir la ligne gracieuse de son cou, couvrir ses épaules et s’attarder sur la rotondité de sa poitrine.

 

Elle répond à l’effleurement en sentant ses seins se tendre. Une délicieuse douleur qui la fait doucement gémir.

 

Une main lui frôle le menton, remonte vers sa bouche. Avide et provocatrice, la femme se saisit de son pouce, l’enroule de sa langue, l’enrobe de salive. Bientôt elle tête avec insolence, plongeant son regard luxurieux dans ses yeux.

 

tumblr_mjwy5cxdx51qzzxybo1_1280

La photographe devient plus entreprenant, agrippe les hanches de la femme pour les plaquer sur les siennes.

 

La robe est vite enlevée et Audrey se trouve nue, exposée aux regards de potentiels visiteurs.

 

Commence alors une danse qui n’a rien de macabre dans ce cimetière écrasé de soleil.

 

 Un entrechat langoureux, charnel où la vue se brouille, où s’enchevêtrent bras et poignets, cuisses et chevilles.

 

Un puzzle confus, un assemblage primal et jubilatoire, un ajustage délicat et éphémère.

 

Hymen sulfureux qui ne satisfait cependant pas l’homme.

 

Il veut davantage.

 

Plus d’abandon, un don d’elle, un présent absolu.

 

Des instincts dominateurs le submergent, des envies de contrainte, de servitude.

Une exigence urgente et vibrante qu’elle ne peut lui refuser.

 

Déjà elle capitule, se laisse emporter sous le joug impérieux de son amant qui l’entraîne dans l’ombre d’une chapelle, nichée dans la partie ancienne du carré mortuaire.

 

 Il semble si bien connaître l’endroit

img_0910-copie

Son cœur s’emballe, sa moiteur devient ardente. Elle exulte à l’idée du martyr qui l’attend, du supplice de sa chair offerte.

 

La porte grince et s’ouvre sur un oratoire poussiéreux, abandonné. Derrière un autel défraîchi s’élève une lourde croix en bois vermoulu. Accroché encore par un bras, un Christ écaillé essaie de ne pas tomber à terre.

 

L’inconnu attrape Audrey par un poignet, l’oblige à le suivre. Il arrache la statue agonisante, regarde autour  de lui et ressort, laissant la femme hors d’haleine.

 

Il revient bientôt des liens végétaux tressés à la main, de longues herbes luisantes qui servent à nouer les gros bouquets.

 

Sans un mot, il la plaque contre la croix, lui soulève les bras et les ligote fermement. Audrey ne souffre pas encore mais elle anticipe son tourment. Ses pieds touchent à peine terre.

 

 Elle doit rester sur la pointe des pieds pour toucher le sol.

2445604-une-croix-en-face-d-39-un-vitrail-dans-une-chapelle-funeraire

Le photographe recule pour juger de l’effet de son œuvre. Il opine du chef, penche la tête, revient pour réajuster une mèche de cheveux, pose un baiser appréciateur sur la pointe de ses seins.

 

Puis il s’évanouit dehors laissant la femme à son sort de prisonnière.

 

La chapelle est vraiment isolée de tout.

 

Une odeur persistante de salpêtre entêtante, une exhalaison fétide de terre mouillée, de chairs en décomposition saturent l’air du monument confiné.

 

Audrey lutte de toutes ses forces pour ne pas paniquer. Elle est là loin de tout, nue et gelée ; attachée par un homme dont elle ne sait rien.

 

Elle prend peur, se cabre, cherche à se libérer de ses liens.

 

Rien ne bouge.

 

Elle hurle, demande pitié, commence à pleurer puis sanglote, le corps endolori et sensible.

 

Quand l’homme revient, triomphant et hâbleur, un paquet à la main, Audrey est défaite, rompue, les membres fourbus, sa volonté brisée.

 

Il la saisit à la gorge, lui impose un baiser d’une gloutonnerie vulgaire, fourrage sans merci dans sa bouche.

 

Puis il lui montre le ballot, l’ouvre pour en sortir un long voile de gaze blanc.

 

«  Je suis allé l’emprunter à la jeune fille décédée il y a une semaine. Regarde comme le tissu est encore frais et mousseux.

 

Je vais te parer ma belle amoureuse » dit-il en détachant les liens qui avaient sensiblement marqué la peau tendre des poignets de son esclave. Il la prend dans ses bras et l’embrasse tendrement.

 

Exténuée et humiliée, Audrey se recroqueville dans les bras du photographe.

 

Un peu surpris, il la couche dans la poussière du sol, l’enroule de la mousseline transparente, la toilette avec application.

 

Elle semble prête à être mise en bière, son corps raide couvert de ce tissu arachnéen qui ne cache rien de ses appâts, la tête ceinte d’une couronne de fleurs d’orangers fanées, les mains jointes dans une prière païenne.

berenice

Elle ressemble à la promise, le soir de ces noces, vierge et effrayée.

 

L’homme se délecte de cette vision perverse, s’empare du corps de la belle mariée en s’immisçant entre ses cuisses, l’empale sans merci comme le seigneur de guerre qu’il est devenu.

 

Elle se pâme, soulève ses hanches pour mieux subir les assauts répétés, brusques de son amant possédé. Secousses pressantes, saccades péremptoires.

 

Audrey s’essouffle, arc en plein cintre qui s’élève et s’effondre, la tête et ses cheveux ruisselants sur ce sol en terre battue qui masque un caveau.

 

Elle soupire bruyamment, geint lubriquement, troublant définitivement le repos éternel de la famille dont ils violent l’intimité.

2332000424

Les défunts silencieux et réprobateurs n’ont plus qu’à se mettre en cercle  autour de ce couple infernal pour contempler leur saillie véhémente.

 

Enfin retentissent les rugissements de la capitulation, de la liesse proclamée  dans cette chapelle familiale.

 

Chaos qui ébranle l’Eve fatale, pourfend l’Adam licencieux.

 

Audrey reprend ses esprits, se relève et cherche sa robe. Elle l’a laissé dehors près de la tombe.

 

L’homme est toujours couché, anéanti. Il ne bouge plus, les yeux fermés. Elle le laisse et court dans les allées.

 

La pierre tombale en marbre noir est là, devant elle, polie et luisante. Elle retrouve ses effets, se rhabille, se penche pour récupérer son livre et jette un coup d’œil sur l’épitaphe.

 

Son sang se glace dans la chaleur de ce dimanche de juin.

 

« Stéphane Guillemin 1969-2013 - Photographe professionnel 

Ame flottante et vagabonde
Hôte et compagne de ce corps
Où iras-tu loger, maintenant ? »

tumblr_lxtwmnr9mn1qz5q5oo1_r1_500

 

Publicité
Publicité
Commentaires
F
Les cimetières sont loin d'être des lieux de repos...et les fantômes peuvent revêtir des atours bizarres !<br /> <br /> Merci pour vos gentils commentaires....<br /> <br /> Pensez à Flore à la Toussaint quand vous irez fleurir les tombes de vos chers disparus !!!
Répondre
E
Quelle imagination ! Moi qui aime les cimetières comme un oeuvre de calme romantique, je vais devoir changer mon regard ;)
Répondre
O
"Le désir s’empare d’elle."<br /> <br /> J'adore cette héroine qui n'arrive jamais à se contrôler ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Quelle chute sublime !!! <br /> <br /> Bravo
Répondre
Faunes & Flore
Publicité
Archives
Pages
Visiteurs
Depuis la création 14 729
Publicité