Café du matin (deuxième partie)

9 février 2014

Café du matin (deuxième partie)

La journée passe comme engloutie dans un espace qui n'obéit plus aux règles immuables de la réalité ordinaire. Les contours y sont veloutés, estompés comme dans un pastel brouillé par la pulpe d'un doigt distrait. Les gens croisés ressemblent à de hautes silhouettes grimacantes découpées grossièrement dans l'étoffe du temps qui passe. Tout est ralenti, syncopé.

Les évènements du quotidien se succèdent, mornes, feutrés et cotonneux. Un simulacre de vie qui ressemble à une vraie existence sans l'être totalement. Un grain de sable a dérèglé la machine

Je respire à grand peine comme une lycéenne engoncée et émotive, partagée entre le désir de Vous voir enfin et celui de m'enfuir à jamais.

Je guette un autre message qui me donnerait davantage d'indices qui me permettrait d'être moins perdue.

Je Vous regarde folâtrer avec d'autres femmes virtuelles qui Vous vampent et Vous séduisent, lis la mort dans l'âme Vos traces écrites, Vous file comme un détective acrimonieux, suis chacun de Vos pas.

Vous ne laissez rien transparaître, votre mutisme est assassin; je suis jalouse.

Le feu aux joues, je ne pourrais Vous savoir en embrasser une autre moi qui suis prête à me donner entièrement, exclusivement.

Une agnelle à sacrifier, une drôle de fille empêtrée dans ses paradoxes qui exige Votre reconnaissance et recherche l'humiliation.

Car aussi étrange que cela paraisse, j'aime être jalouse, j'aime être piétinée, punie. Une appétence marquée pour le malheur, la souffrance.

Le soumise parfaite qui conspuée et jetée à terre, remercie son bourreau en lui embrassant la main.

Je n'ai pas beaucoup d'expérience et je ne sais pas comment réagir. Est-ce le processus normal dans ces relations déviantes? Ou dois-je me fier à mon instinct ? Inventer de nouvelles règles ? Répondre à mon envie et laisser éclater ma colère ? Vous rappeller que je ne suis pas Votre chose et que je ne veux pas subir sans avoir le choix ?

Pourtant si tel est mon destin....

Je ne suis plus moi même. Je n'ai même plus mon nom de baptème. Vous ne le saurez jamais. Autre identité, autre personnalité.

Je suis entrée en servitude de façon tacite. J'ai été éblouie par Votre raffinement, Votre culture.

Vous ne pouvez que me tendre un piège dans lequel je me rue en toute innocence. Vous me provoquez, je sors de ma réserve, vais commettre l'erreur de trop et vais m'exposer à Votre courroux.

Une colère virile et froide qui curieusement me chagrine, fait battre mon coeur, me rend folle de honte. Elle va aussi me donner envie de Vous, m'enflammer durablement. Une envie ardente, peu maîtrisable, de celles qui poussent aux pires folies, de celles dont on se souvient sur son lit de mort.

Je suis perverse je le sais. Je ne peux me contenter d'une relation comme les autres, ceux qui copulent et s'en satisfont.

Un couple qui fait l'amour le plus naturellement du monde m'ennuie. Je le verrai s'accoupler dans la rue que je l'emjamberai sans lui accorder un regard supplémentaire.

Je ne sais pas aimer normalement. Je ne sais pas jouir comme le commun des mortels

La promesse d'une gifle froidement assenée sur chaque joue, la griffure d'une corde qui martyrise la peau, devoir Vous attendre à genoux, en position d'orante, les mains ouvertes sur les genoux, être à l'affût de Votre présence que je pressens dans la pièce, recevoir le large ruban de cuir, sentir Vos mains refermer les rivets métalliques, avoir peur de Vous et le vouloir incendie mon ventre, me rendrait presque indécente.

Presque inconsciemment, je ne peux m'empêcher d'écarter un peu les jambes, d'entrouvrir ma bouche avant de me ressaisir. Un simple réflexe.

Ecartelée entre le savoir-vivre, l'apparence du convenable, la délicatesse, le souhait de rester maîtresse de moi et l'envie sombre de ramper, de lapper l'ordure jetée à terre, de n'être plus qu'un objet de plaisir dans Vos mains expertes. Un objet pensant, un accessoire animé et plein d'émotion dont la raison est muselée, offert ostensiblement pour en sortir grandi et libéré.

Envie d'être corrompue, salie, déchirée, utilisée.

Se renier, ne plus exister en tant qu'ego mais comme Vôtre totalement et infiniment

Envie de Vous baiser les pieds, de m'accrocher durablement à vos chevilles.

Oublier ma retenue pour devenir animale, prêtresse fanatique et inconvenante toute occupée à Vous servir.

Je vous ai cherché patiemment, comme l'explorateur son continent perdu, comme l'aventurier son trésor des templiers.

J'ai su entrevoir la possibilité que Vous soyez ce fameux Eldorado, que la vie pouvait enfin commencer.

Vous m'avez tant rassurée quand Vous m'avez fait croire que j'étais Celle qui pouvait répondre à Vos attentes si exigeantes, Celle qui serait peut être digne de Vous.

Une place convoitée et fragile.

Et me voilà pleine de doutes, déboussolée, en proie à une tristesse délectable, un trouble malsain.

Je vais Vous voir demain. Ces femmes n'auront pas cette chance. Je suis Votre préférée. Votre Pré-fé-rée.

Il faut que je m'en convaincs, que j'apprenne à accepter que je Vous appartiens, que ma soumission doit être exempte des récriminations habituelles, que je n'ai pas le droit de Vous reprocher quoique ce soit.

Je ne Vous ferai même pas part de mes états d'âme. A peine ose-je les coucher sur ce carnet.

Il faut que je me secoue et cesse de divaguer. La tenue doit être choisie. Un autre souci de taille.

Je vais encore passer des heures à déballer la lingerie, prendre des poses, faire la moue devant ma psyché, contrôler mon image, me forcer à sourire, trouver de nouvelles rides, me lamenter sur ma coiffure, ne plus avoir le temps de confier ma tête à un professionnel et m'effondrer car rien n'ira, rien ne sera trop assez beau pour Vous.

Un vrai calvaire que de Vous surprendre. Tout est codé, subtil.

Si je suivais Votre injonction à la lettre, je viendrais toute de noir vêtue, en gothique à godillots. Mais Vous fuiriez en proie à une terreur bien légitime.

Plus que Vous surprendre, je dois être excitante. Vous donner envie de mettre Vos mains sous ma jupe, de Vous sentir perdre doucement la raison, de savoir que Vous faites un effort pour Vous maîtriser, pour ne pas succomber trop vite, que Vous êtes toujours le maître de jeu.

Je m'attache à chaque détail, scrute ma peau, chaque membre. Je dois être irréprochable et mon travail ne doit pas se voir. Vous ne serez pas dupe mais Vous aurez l'élégance de feindre ne rien voir, croire que tout est naturel.

Je me love dans une eau moussante et odorante. Un temps lascif et apaisant où mon corps se métamorphose. Je mue, je deviens odalisque, intriguante et courtisane.

Je me prépare pour Vous, je prépare la bataille avec les armes éprouvées des femmes des temps jadis. Un sourire pour toutes celles qui ont usé des mêmes subterfuges, de ces artifices convenus et si efficaces dans l'art d'aimer.

Je me rassure un peu en me répétant que Vous me trouverez belle en dépit de mes affres et que si par malheur je ne vous plaisais pas, je ne Vous en tiendrais pas rigueur et que je saurais faire bonne figure.

Même si tout est faux bien entendu voire impossible à concevoir.

J'ose espérer que Vous trouverez mes jambes à Votre goût, que Vous ne débusquerez pas les défauts que je vais m'évertuer à camoufler et qui me rendent si humaine, si vulnérable.