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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
2 janvier 2013

Clara et le loup: Chapitre I -Partie 1

And it feels like I am just too close to love you
There's nothing I can really say
I can't lie no more, I can't hide no more
Got to be true to myself
And it feels like I am just too close to love you
So I'll be on my way

Too close-Alex Clare

 

chaperon

 

 

« 17 heures déjà ! Bon dieu, je suis en retard. Virginie doit déjà m’attendre. Allez, je file » me dis-je à voix haute.

J’éteignis d’un clic rapide mon PC interrompant le flot de musique que j’avais eu le bonheur d’écouter toute cette après-midi. Je me levais en toute hâte repoussant la chaise et en cherchant mon sac des yeux.

L’après-midi avait été en demi-teinte mais fructueux puisque mon devoir sur les contes de fées avançait convenablement. Avec un peu de chance, je pourrais le rendre d’ici fin janvier et passer à autre chose.

 Je travaille sur l’iconographie moderne et toutes les versions contemporaines des textes les plus connus de Grimm et Perrault. Tout un canevas d’histoires extraordinaires et séculaires défile chaque jour sous mes yeux de chercheuse, du merveilleux, du fantastique, des archétypes ténébreux, peu recommandables, des faibles, des perdants. Bref, des histoires ténébreuses qui ont façonné l’imaginaire collectif.

 

Aujourd’hui, je me suis attelée aux versions pour adultes, aux contes détournés par des libertins, pornographes et autres érotomanes postés sur Internet.

 

Quelques poésies, des nouvelles plus ou moins bien écrites, des productions sans grand intérêt à vrai dire.

Hormis peut-être un blog au nom évocateur de Compagnie des Loups un tantinet licencieux où l’on propose des soirées particulières avec la mise en scène d’un conte proposé par les adhérents du club et voté démocratiquement. Des créations d’évènements exceptionnels dans le monde entier et dans des lieux connus et raffinés.

Une belle page d’accueil sobre, noire avec des rinceaux dorés graciles et élégants, du Pompadour à rocailles m’invitait à décliner mon identité, choisir un pseudo et rejoindre une communauté d’happy few, pervers argentés à la recherche de frissons inédits pour tromper un ennui récurent. Sûrement des parties fines déguisées dans des châteaux avec des filles grimées en Petit chaperon rouge, en servantes de la cour de Peau d’Ane en lingerie fine éclairées par de grands candélabres. Des agapes nauséeux, dévoyés à la sauce Barbe-bleue bon marché…Rien en apparence, pas une image ni un commentaire susceptible de satisfaire ma curiosité malsaine.

 

Je souris à cette pensée.

« Trop vulgaire, déjà vu et surtout pas très imaginatif ! »

Des images de scène sado- masochiste  à grand renfort de masques à boules, de sangles cloutées, de cages oxydées, de filles dénudées accrochées au plafond soumises totalement à de piètres mâles dominateurs vêtus de cuir dans des endroits enchanteurs me vinrent à l’esprit. Je ne connaissais rien à ce milieu underground hormis les images entraperçues sur le net ou lors des reportages racoleurs après 22 h  00 dans les programmes dits pour adultes.

 Rien en tout cas que je pouvais décemment exploiter dans mon mémoire. Rien de bien excitant non plus dans mes recherches incessantes dans le grand monde du merveilleux…

 

Je me plantais devant mon miroir. Désespérant, c’était désespérant. Je souris outrancièrement, passa langue sur mes dents en soupirant de dépit. Un coup de peigne suffirait bien. Et un peu de rouge aussi. C’était bien ça le rouge ; cela allait me redonner un semblant de mine. On en était même plus au stade de la bonne mine. Virginie ne m’en voudrait pas. Pas la peine de s’apprêter comme  pour un rendez-vous galant…

 

Je brossais rapidement mes boucles brunes, appliquai un soupçon de rouge sur les lèvres, fit la moue, pris mon écharpe rouge, enfilai mon manteau et attrapai mes clefs

Il me faudra bien 10 minutes  pour aller au café de l’Opéra. Fermant hâtivement la porte, je m’emparai de mon sac, vérifiant distraitement que tout y était, dévalai les escaliers et me retrouvai à l’air libre, sur le trottoir. Je regagnai d’un pas vif la station du tramway. Il faisait bien gris aujourd’hui et la température avait encore baissé. Le jour pâlissait à vue d’œil mais les vitrines de fêtes avaient revêtus leurs atours scintillants et multicolores. Le chemin était balisé ; pas besoin de cailloux lumineux pour retrouver son chemin !

 

Le tramway n’était pas encore là. Trois ou quatre minutes à attendre avec une population hétéroclite et maussade. J’attrapais mon Ipod, mis mes écouteurs et choisis d’écouter le dernier tube d’Alex Clare.

 Dernier coup de cœur musical. Je me sentais mieux, à l’abri du monde, libérée de ses rumeurs épuisantes, de ses cruautés puériles. Le chanteur s’égosillait cerné par de puissantes pulsations régénératrices et hypnotiques.

Le tramway arriva enfin vomissant son flot anonyme de passagers affairés. Toute une faune d’individus aux visages fermés que je côtoyais quotidiennement et pourtant toujours différente. Une foule de personnes silencieuses, d’individus épuisés et alignés dans un tube métallique respirant à l’unisson. De multiples rencontres potentielles, des amours possibles, des amitiés ou inimitiés mortes nées, sans la moindre chance de s’épanouir…

 

J’attrapai la barre en inox, fixai longuement mes pieds, bousculée par des corps inconnus, pris un air absent et attendis la fermeture des portes.

A ma gauche se tenaient désormais la librairie Mollat et ses vieilles vitrines  pleines de merveilles colorées, des boutiques de fringues, des décorations de Cariatides et atlantes musculeux en pierre blonde portaient balcons et frontons dans des grimaces de souffrance et d’affliction éternelle.

J’étais arrivée à destination, je m’extirpai difficilement de la voiture avant de me diriger vers l’Opéra.

Ce bon vieil Opéra, bastion de la culture lyrique, fleuron de l’architecture bordelaise, brillait de mille feux factices dans le brouhaha de la ville. Des tentures de milliers de petites lumières rouges couvraient le cours de l’Intendance.

opera

 

 Tout près, le marché de Noël était ouvert pour les fêtes et le grand manège de bois tournait à l’infini avec de petits cavaliers mutins et  encapuchonnés dans une chevauchée lente et placide. Tout en haut de la balustrade, les statues en toge veillaient consciencieusement sur les passants et la circulation automobile.

 

Je montai les quelques marches, traversai la colonnade et poussai la porte du café. Un calme irréel m’accueillit.

Les lourds lustres en cristal sagement alignés se reflétaient pompeusement dans les plateaux de verre des tables. L’aria de Puccini Chi il bel sogno di doretta résonnait harmonieusement sous les dorures Empire. J’adorais cet air d’opéra et la version de Kiri te Kanawa me faisait toujours monter les larmes aux yeux.

Quelques dames d’âge mur sirotaient leur thé parfumé en échangeant des commérages à voix basse mais peu de monde à vrai dire. Les serveurs commençaient à dresser consciencieusement les tables en prévision du diner.

 

Je remarquai surtout que  Virginie n’était pas en vue. Je posai mon sac sur une table, fis un tour sur moi-même en défaisant mon écharpe pour mieux embrasser l’ensemble de la salle. Pas un visage connu ici ! Je soupirai et m’apprêtai à prendre mon mal en patience

 

« Je me demande bien pourquoi elle n’est pas encore là » me dis-je en grommelant pour la forme. Je m’assis, m’emparai de la carte des thés, lui jetai un regard ennuyé et levai les yeux.

 

C’est alors que je le remarquai.

En face de moi se tenait le plus bel homme de la terre, d’une trentaine d’années, habillé élégamment, [apparemment] habitué au luxe. Brun, élancé et mince, des cheveux courts et souples très légèrement ondulés qui accrochaient avec bonheur la lumière ambiante, une arcade sourcilière peut-être un peu trop prononcée qui lui donnait un air sévère et brutal, une allure de prédateur sans

pitié, une bouche mince concentrée. Une bouche d’une grande sensualité même si ses lèvres n’étaient pas épaisses. Une bouche gourmande, affolante, conquérante qui sans avoir dit un mot  me donnait des frissons particuliers.

 

Mais qu’est-ce qui m’arrivait ?

 J’étais là comme une idiote à regarder le plus bel homme jamais vu. J’étais en train de le dévisager sans me rendre compte de mon attitude inconvenante. C’était bien une première de fixer un inconnu dans un lieu public, dans un café comme une écervelée en mal d’aventure amoureuse. Mais rien à faire, mes yeux ne m’obéissaient pas ni ma morale en alerte qui me sommait de cesser immédiatement. Le plaisir que j’avais à admirer cet éphèbe en costume était si agréable que je me surpris à soupirer doucement.

 

 Heureusement, l’inconnu ne m’accordait aucun intérêt et restait plongé dans la lecture de son ordinateur portable, le visage flatté par la lumière bleutée de son écran. Il se mordit furieusement la lèvre inférieure et pianota nerveusement sur son clavier. Les doigts de sa main gauche jouaient fébrilement avec l’anse de la tasse à café déjà bue et abandonnée sur la table.

 

« Vous désirez, Mademoiselle ? ». Le serveur interrompit brutalement mes rêveries éveillées de jeune file en fleur.

« Un thé fumé s’il vous plaît » articulai-je difficilement, la bouche sèche, profondément perturbée.

Sitôt cette évidence énoncée et acceptée, je rougis violemment.

 

L’homme avait enfin posé ses yeux sur moi, me fixant désormais  intensément et me sourit très légèrement, avec une morgue, une suffisance qui me déplut

« Certes, il est beau à se pâmer. Je n’ai jamais vu un mec aussi beau. Mais, mais, Clara, prends bien garde au loup. Ce doit bien être le genre à ne jamais rien désirer bien longtemps, le genre à être bien conscient de son charme, le genre à tout conquérir sans même batailler. Le genre tête à claques ! » 

 

J’avais beau me gourmander, invoquer ma conscience, me sermonner avec mon éducation de fille de bonne famille, mes manières raffinées, mon manque d’appétit sexuel ces derniers temps, je devais bien avouer que j’étais célibataire depuis bien trop longtemps, trop seule, trop délaissée.

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Commentaires
F
Un grand merci Erik pour cet élogieux commentaire...et d'être le premier à oser écrire ici ! Coeur qui bat la chamade et émoi de midinette ;-)
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E
Comme promis, j'ai lu avec plaisir ce début de votre roman... Prometteur !<br /> <br /> J'ai hâte de savoir si le loup va manger le chaperon rouge ! :)
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