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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
30 avril 2019

La Salamandre

" La Fondation La Salamandre a le plaisir de vous informer que vous avez été sélectionnée pour participer à la phase finale de notre jeu-concours. Vos connaissances sur les châteaux de la Loire ont été fortement appréciées. Mais le jeu continue...

Rendez-vous donc à Cheverny ce week-end. Tous les frais inhérents à votre excursion seront intégralement remboursés par notre fondation. Veuillez donc nous confirmer votre présence par retour de mail .

Dès que vous aurez accepté de jouer, surveillez votre téléphone. Nous vous recontacterons très rapidement.

A bientôt donc et que la meilleure gagne...."

Nutrisco-et-extinguo-Salamandre-François-I-Azay

 

 

Anne regarde son écran incrédule. Elle a gagné. A quel jeu déjà ?

Elle ne s'en souvient pas. Ses journées se résument à des promenades compulsives et décousues sur le réseaux sociaux y guettant la nouveauté, répondant aux SMS et mails des fournisseurs qui livrent des rouleaux de tissus dans sa boutique. Une belle réussite que son petit commerce bordelais. Devanture attrayante et pimpante dans une rue passante, son échoppe est reconnue et fréquentée. Des couturières du dimanche argentées un peu bohèmes et désoeuvrées en quête d'authenticité, d'originalité et de fait-main.

Anne n'a pas de mérite. Elle a toujours aimé les belles choses, les beaux habits, les peintures raffinées, les bâtiments ouvragés. Elle n'aime rien de plus que de fourrager dans les tissus pour en toucher la texture. Le doux velours rasé, le rêche du lin, l'épaisseur d'un coton de qualité, la soie masculine d'une cravate la transportent et l'émerveillent. Son goût est aussi sûr que ses convictions et ses avis sur le monde sont fantaisistes.

Anne sort de sa torpeur rêveuse. Quand a -t-elle cliqué sur ce jeu ? Elle n'en a aucune souvenance. Mais elle doit bien avouer son penchant à fureter partout, passant d'un message à l'autre, jongleant avec des informations sérieuse comme futiles, s'adonnant sans vergogne au palisir licencieux de conversations parfois érotiques dans des groupes privés et secrets. elle les oublie aussitôt, protégée par son anonymat virtuel, cliquant avec frivolité pour passer le temps entre deux ventes.

Elle a peu d'amis, encore moins d'homme dans son existence. elle a abandonné l'espoir trouble de rencontrer Celui qui aussi sombre et délicat qu'elle saura osciller entre l'ordure aristocratique et un esthéticisme cynique. Celui qui comprendrait ses penchants pervers, ses envies de pureté à souiller, sa quête de beauté désespérée, qui la surprendrait et l'attacherait éperdument à lui.

Le temps est indécis. Rien ne retient Anne à Bordeaux. Une simple confirmation et si tout est gratuit et organisé, pourquoi ne pas se laisser tenter ? 

Cheverny est un beau domaine; son château bien entretenu avec des tentures et des tissus princiers. Si elle s'ennuie, elle pourra faire des croquis, trouver des adresses d'artisans qualifiés. Elle s'échappera,, au pire pour dénicher un calicot ou un damas oublié dans un recoin de brocante.

Elle fait quelques recherches sur la fondation, n'en trouve pas trace, se demande si ce groupuscule existe, si c'est une farce d'étudiant. Elle se décide pourtant à tenter l'aventure. On est en pays civilisé non ? Rien de bien grave ne peut arriver de nos jours sans que la terre entière soit informée.

Anne contemple le mel, appuie sur le bouton Répondre. Le sort en est jeté....

 

Anne n'a pas à attendre bien longtemps. Le message qui a suivi l'a mise mal à l'aise. Un texte bien écrit toujours anonyme qui la vouvoie mais semble émaner d'une personne bien renseignée. C'est comme si quelqu'un l'avait épiée ces derniers temps et connaissait tout de son existence.

Le message lui enjoint de prendre sa voiture le samedi matin mais de passer auparavant à la gare Saint Jean. Là elle trouvera une accompagnatrice, elle aussi lauréate. Une certaine Françoise, harpiste à Bayonne.

Rien de plus. Ni description physique ni numéro de téléphone. Il faut juste l'attendre au point de ralliement. La fameuse Françoise recevra de son côté des instructions qui lui permettront de la reconnaître sans peine. Elle ne devait pas poser de questions sous peine d'être disqualifiée.

La commerçante a subitement envie de renoncer. Le rêve s'est brisé. Non seulement elle n'est plus l'unique gagnante de ce jeu mystérieux mais elle devrait s'encombrer d'une inconnue pendant les quatre heures de voyage jusqu'en Sologne. La perspective de faire la conversation en avalant les kilomètres la rebutait un peu. Une musicienne classique en plus qui devait passer son temps la tête dans les cordes, le nez dans ses partitions.

***

La voiture vrombit sur l'autoroute. Anne et Francoise côte à côte sur la réserve, se posant les mêmes questions, filant vers leur rendez-vous castral. 

La rencontre s'est faite naturellement, chacune se reconnaissant immédiatement. Françoise est jeune, une gamine brune renfrognée aux cheveux lisses et regard vif. "Mon exact contraire" se dit Anne." Je suis aussi blonde bouclée et laiteuse qu'elle est méditerranéenne. Belle et ténébreuse. Sûrement seule elle aussi.

" Tu as su comment, toi, pour ce concours ? 

- Je me souviens bien. C'était juste après l'incendie de Notre Dame. Je cherchais à savoir si l'orgue avait été touché. J'ai vu un encart qui clignotait comme ces milliers de pubs qui essaient de t'attirer. Un quizz idiot parmi bien d'autres. De ceux qui te dévoilent ton âme soeur, ton livre préféré ou la  citation qui te convient le mieux.

- Ha oui je vois bien. J'y joue souvent sans y faire vraiment attention .

-Voilà. Celui-là c'était une vingtaine de questions sur les rois et grands personnages qui ont changé le paysage tourangeau. Des questions bateaux il faut bien le dire. Facile le test. Je ne sais pas comment ils ont pu retenir une plus qu'une autre.

- Ils ont peut-être mené leur petite enquête ?

- Tu ne crois pas si bien dire. J'en suis de plus en plus convaincue."

Anne se tait, concentrée sur les camions qui grossissent et disparaissent dans son rétroviseur.

Francoise se tourne vers elle.

" Sinon t'as un mec fixe ? Tu lui as dit où tu allais ?

- Ne me déconcentre pas veux-tu ? C'est quoi cette question ? Ca a à voir avec le concours ? Et si je te retourne la question, tu me dis quoi ?

- Je sais pas. Je sens qu'il y a des mecs pas clairs derrière tout ça. Et on y fonce la bouche en coeur. On sait même pas ce qu'on va gagner. C'est un peu débile non ? Ca ressemble à la maison en pain d'épices d'Hansel et Gretel. Y a un grain de sable qui fait disfonctionner la belle machine. C'est comme une belle façade plaquée sur un mur moisi. C'est comme si on avait été choisies tu me suis ?

- J'ai eu cette sensation aussi d'avoir été suivie, espionnée et contactée par la suite. Je ne suis pas plus rassurée que toi. Mais là c'est un peu tard pour renoncer. Autant voir sur place et forger notre opinion. Tu sais si jamais ça tourne mal ou si ça sent le plan foireux, on part et voilà. Tu restes avec moi et on file à l'anglaise. On va pas finir dans un réseau de prostitution albanais ou emprisonnées comme les soumises du bouquin de Pauline Réage.

- Histoire d'Ô ? Ca existe encore ces maisons de dressage tu crois ? C'est tout pourri ce milieu. J'aimerais vraiment pas finir à poil avec des pinces partout à servir des vieux cons qui te forcent à rester à genoux en jouant aux échecs."

Anne glousse, heureuse de trouver en Françoise une compagne de route sans afféterie.

" T'es cash dis-moi. Je m'attendais pas à ça. Quand on entend harpiste, on s'attend à une fille de bonne famille aux manières parfaites, un peu hautaine et évaporée.

- L'un n'empêche pas l'autre. Mais c'est vrai que je l'ouvre pas mal. Et harpiste ne veut pas dire être déconnectée du monde. Je ne passe pas mon temps à faire des gammes. Même si la musique est ma raison de vivre et que ne plus entendre serait la pire des punitions."

Le téléphone de Francoise sonne. Elle fronce les sourcils sur le qui vive. Un texto.

"C'est eux. Les mecs de la Salamandre.

On doit faire une halte à la station de service prochaine. La suite au prochain épisode. Je sais pas toi mais ça commence à m'exciter."

***

Aire de repos impersonnelle avec son restaturant routier, ses places de parkings bien peintes, ses arbustes étiques aux feuilles corodées par la pollution.

Les deux femmes se garent et sortent vite de la voiture pour se dégourdir les jambes. Françoise attend, le regard vissé sur son écran.

" Le chasseur rencontre le gibier là où il n'ont pas pris rendez-vous ( Proverbe malinké ).

Le jeu commence. Première question : Comment nomme-t-on l'art de la chasse ?.

- Ils nous prennent vraiment pour des teubés. La vénérie bolosses ! " s'exclame Françoise en pianotant la réponse à la vitesse de la lumière.

"Bonne réponse. Quel est le nom du dresseur de chien de chasse ?"

Anne fronce le sourcil. Françoise, elle, n'hésite pas une seconde.

" Ben c'est un piqueur. C'est trop facile. Je te parie qu'on va gagner un porte-clef Pays de la Loire si ça continue. Réponds toi aussi sinon tu vas être disqualifiée rapidement. Et j'ai encore besoin de ta bagnole."

Anne sourit devant l'insolence de cette jeune fille. Pétroleuse arrogante et fragile.

"La réponse est de nouveau juste.

Deux d'entre eux vous attendent dans les toilettes pour dames. Veuillez les rejoindre immédiatement. Vous êtes cinq pour l'instant à avoir réussi un sans faute. Ils ont pour vous un petit cadeau. Libre à vous de l'accepter !"

" Nawak. Tu parles qu'on est que cinq. Un cadeau ? Comment ça sent l'entourloupe Anne. J'ai le diapason qui sonne pas juste. On y va quand même ?"

Elles n'hésitent pas une seconde, dépassent le comptoir aux sucreries et cherchent les toilettes. Comme toujours confinées dans un recoin du bâtiment, sans lumière directe, baignant dans une odeur de parfum de synthèse et de Javel soulignée par un relent persistant d'urine .

Deux hommes discutent assis sur la rangée de lavabos éclaboussées par des voyageuses déjà évanouies sur la route. Anne en reste bouche bée. Jamais elle n'a vu aussi beaux mâles.

Racés, grands bruns émaciés, vêtus de chemises blanches de belle façon et de pantalons coupés à la perfection. Statufiée, elle n'ose interrompre les piqueurs. Tout est perfection chez ces hommes. Leurs mains volubiles dansent dans l'air, accompagnant leur voix grave secouée de rires élégants. Le désir s'empare d'elle mais elle n'a aucune chance, mûre et mal fagotée. Elle devra se contenter de les regarder, imprimer chacun de leurs gestes dans le placard de ses fantasmes. Des images de saillie sauvage la submergent. Ses mains redessinent les muscles de leurs torses, sa bouche avale leurs membres jeunes et durs. 

Anne s'ébroue et se retourne vers Françoise qui semble envoûtée elle aussi.

"Mesdames, excusez-nous pour notre manque d'attention.

La harpiste peut fermer sa bouche. Nous faisons toujours notre petit effet auprès de la gente féminine mais il vous faut recouvrer la parole. Je me présente. Stéphane, piqueur depuis deux ans à Cheverny et Loïc, mon frère qui me seconde quand il le faut, en période de chasse à courre. Quand la Salamandre a besoin de renforts....

Venons- en à l'affaire qui nous occupe tous. Vous trouverez dans ces cartons de quoi vous habiller correctement si vous voulez continuer le jeu. Jusqu'ici c'était très simple. Maintenant commence la vraie compétition. Mesdames si vous voulez bien vous approcher...Il est temps de devenir femme."

Anne et Françoise soulèvent avec frénésie le couvercle de la boîte. Un bruit de papier de soie qui crisse. Francoise soupire d'aise au chant gracieux du froissement, Anne en caresse le velouté. A l'intérieur du carton, un manteau en fourrure, un serre taille, des bas et des escarpins laqués. 

"Je pense que vous avez compris ce que la Salamandre attend de vous désormais. Si vous transformez l'essai, plus jamais vous n'aurez faim ou des problèmes de factures, de loyers ou tout autre d'ordre matériel.

Ici se scelle votre sort. Soit vous acceptez votre statut d'objet femelle et appartenez à la meute, soit vous reprenez le court de votre vie. Vous allez gagner le droit d'appartenir à la race des Seigneurs. Ceux que personne ne voit jamais, qui manipule le pouvoir. Les éminences grises, les rois sans visage. Vous avez été choisies avec soin. L'une pour ses talents de musicienne, l'autre pour sa faculté rare à reconnaître les matières. A Cheverny, vous trouverez vos comparses. Celle qui sait goûter les vins les plus fins, l'autre dont la vue est incomparable, qui sait distinguer les couleurs au-delà du prisme habituel et la vendeuse en parfumerie qui sait sentir comme personne. A vous cinq, vous incarnez les cinq sens.

Un symbole auquel la Salamandre reste attachée. Société traditionnelle et aristocratique, elle cherche l'excellence et la beauté en tout. Et comme toute famille de sang bleu, elle est entâchée de consanguinité et de perversité féroce. Avant de disparaître comme les Habsbourg d'Espagne, nous avons tout mis en oeuvre pour survivre quitte à violer les vies des femmes que nous convoitons. Avouez que toute cette histoire est fort séduisante...

Vous avez un quart d'heure pour révêtir manteau et lingerie. Vous sortirez de ce lieu d'aisance en poule de luxe, habituée à éveiller le désir sexuel le plus vil. Vous ne cacherez rien de votre état et chercherez le regard des hommes. Tous ces routiers épuisés, ces pères de famille frustrés, ces réprésentants en villégiature devront bander à votre passage. La Salamandre vous veut provoquantes, expérimentées dans l'art de la courtisanerie. Vous n'appartiendrez à personne et à toute la meute. Vous entrez dans le chenil à votre tour. Esclaves et bonnes chiennes, célébrées et abusées...

Loïc vous accompagnera à Cheverny. Je suivrai avec votre voiture.

Nous nous revoyons ce soir au repas des chiens. Dans la fosse même. Celle qui saura survivre sera couronnée reine. Vos fourrures ne manqueront pas d'exciter les chiens.  Le fouet vous rendra moites et dociles.

Que la meilleure gagne !"

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