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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
8 mai 2013

Soumise: deuxième partie

 

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  Je veux que tout ici soit heureux comme moi.

Ali, je t’accorde Fatime,
Son déguisement t’exprime
L’ardeur qu’elle sent pour toi.

Entrée 3, scène 7- Les Indes galantes-Rameau

 

 

Les habitations se succèdent, l’horizon se bouche, barré de câbles, de poteaux. Des  tunnels se succèdent, des zones urbaines laides à pleurer, des enseignes criardes….

 

Une annonce informe les voyageurs de l’arrivée imminente du train.

 

Solange envoie un message, descend, respire profondément l’air de la ville.

Elle sort de la gare, se plante sur le trottoir, attend patiemment, se ronge les ongles.

 

Un trille électronique. Un coup d’œil à son portable.

Message bref, ordre qui fuse, rendez-vous dans un bâtiment anonyme à quelques encablures.

 

Elle se meut, fait claquer ses talons fébrilement, le cœur au bord des lèvres, un peu échevelée, soudain intimidée.

 

Et si elle se trompait ?

 

Si ce maître admiré n’était qu’un homme sans charisme, un séducteur de pacotille, un simple bricoleur de mots plus doué que les autres ?

Et si la délicieuse alchimie tissée patiemment lors de toutes ces semaines n’était que le piètre maquillage d’une simple aventure vulgaire et banale ?

Comment va-t-elle accepter sa désillusion quand elle posera enfin ses yeux sur lui ?

 

Solange ralentit son pas, hésite. Elle peut encore rebrousser chemin, reprendre un train et repartir dans la chaleur conformiste de son foyer.

 

Mais la curiosité est plus forte, l’envie de se sentir vibrante sous ses mains qu’elle imagine possessives, contraignantes et puissantes.

 

Elle refuse d’obéir à la raison, consent à se donner, s’abandonner. Catin de luxe, filles des rues et des lieux publics.

Elle abandonne sa superbe, la fierté de la femme émancipée et affranchie qu’elle brandit à l’envi.

 

Un immeuble en briques silencieux se dresse devant elle. De petites fenêtres encrassées la lorgnent  de leurs orbites un peu effritées.

 

Ancien grand magasin à l’abandon, défraîchi.

Une porte de fer entrouverte.

 

Nouveau message

« Monte à l’étage. Tu ne rencontreras personne ! »

 

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Des accords lointains de violons, de violoncelle  résonnent dans la bâtisse vide et poussiéreuse.

Des marches en marbre noir, vestige d’une prospérité commerciale. De fines colonnes en métal peintes en blanc cérusé filent vers une coupole vitrée.

 

Solange monte avec précaution et découvre le plus étrange des spectacles.

 

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Un vaste parterre de fleurs odorantes l’accueille. Des jonchées d’iris, de lys blancs, de renoncules pourpres, de pivoines aux pétales asiatiques.

 

Une mise en scène spectaculaire éclairée par des bougies, des candélabres disposés avec goût.

 

Elle tressaille en découvrant des poupées autour de tables joliment dressées, les jupes largement retroussées, exhibant des pubis glabres et brillants.

 

Des jouets d’enfant dans des poses impudiques la fixent, de grands yeux écarquillés, les gestes suspendus, raides. Des répliques d’enfant figées, en costume et chapeaux de fête, les lèvres scellées, jambes écartées, bercées par le Stabat Mater de Vivaldi.

 

Voix de haute-contre douloureuse qui pleure la mort du Sauveur

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Plus à droite, des morceaux de poupées.

Amas macabre et insolite de têtes, aux yeux mi-clos, aux paupières alanguies.

Un enchevêtrement de visages joufflus mis au rebut, mordus par le temps, d’invendus qui s’entasse sous un manteau pelucheux et gris.

 

Solange déglutit, passe nerveusement ses doigts sur ses lèvres, guette un signe de vie dans ce théâtre pervers.

 

Le téléphone vrombit.

 

« Solange ma douce, j’espère que ma fête te convient.

Seule ta tenue n’est pas appropriée. Tu dois te vêtir en conséquence !

Sache que je te vois, que je t’observe.

Belle et indécise.

Dénude- toi pour moi. Garde seul tes bas !

Je viens avec ta robe de bal »

 

Elle lit, relit un peu interloquée, relève la tête, scrute les ténèbres.

 

Doucement, avec retenue et grâce, elle sourit timidement, entreprend de déboutonner la veste de son tailleur, l’enlève et le laisse choir ostensiblement au sol.

 

Les archers des violons griffent hargneusement les cordes. Arpèges langoureux, sons écorchés.

 

Débute alors un effeuillage grave, lent et sensuel.

Chemisier, jupe, pièces de lingerie tombent tour à tour.

Solange frémit dans le courant d’air. Sa peau se hérisse, le sang cogne contre  ses tempes. Un  sentiment de trouble délicieux la gagne.

 

La voilà prise au piège du désir raffiné d’un homme inconnu et invisible.

Il ne s’est toujours pas manifesté.

 

Elle reste debout nue et vulnérable, un peu frissonnante et enflammée désormais. Seules ses jambes sont encore gainées d’un voile noir, sa taille enserrée dans un semblant de dentelle sombre.

 

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Solange se protège instinctivement du murmure des ténèbres qui l’assaille, rassemble ses mains sur sa poitrine, cherche un recoin où s’asseoir.

 

Là une petite chaise vide à la table où se joue la dinette des poupées.

 

Solange prend place, fait claquer de défi ses jarretières, se tortille sous le regard impavide des globes de verre.

 

Cette ambiance malsaine, élégante l’excite.

Elle laisse ses doigts se glisser entre ses cuisses, s’y attarde un peu en proie à une tension croissante.

 

Plaisir solitaire qu’elle a maintes fois assouvi sous les ordres virtuels de son maître. Cavalcade à deux voix, mots voluptueux, mains sur le clavier, doigts fichés dans son intimité.

 

Infime bruit de désapprobation derrière elle.

 

Solange résiste à l’envie furieuse de se retourner.

Une main sur son épaule qui la brûle aussitôt, lui intime l’ordre de cesser céans ses caresses.

 

« Regarde-moi Solange !

Je t’en donne le droit !!

 

Sarabande de Bach. Suite n° 1.

 

Envolée lyrique de cordes frottées, notes qui s’éternisent.

Elle tourne la tête et le voit enfin.

 

Grand, puissant, masqué de cuir et ganté.

Costumé comme il se doit, cravaté.

 

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Gémissement d’envie, de luxure devant ce mâle incarnant tous ses fantasmes.

Cet homme qui l’a prise sous sa coupe, l’a mise à ses pieds.

 

Il lui tend une robe en mousseline blanche, un rien transparente qu’elle enfile sans un mot.

Elle en lisse un peu les plis, tourne sur elle comme une ballerine, lui sourit mutine.

 

Mutique, il sort un ruban de velours de sa poche, relève ses cheveux,  le noue autour de son cou blanc, embrasse sa nuque avec délicatesse.

 

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« Maintenant, le temps d’un rondeau, je veux te faire danser, épouser les contours de ce corps que je convoite depuis longtemps, te sentir me désirer, te rendre implorante.

Suis-moi »

 

Pieds nus, Solange le suit, confiante et intriguée. Un peu craintive aussi.

 

Ils traversent un immense hall peuplé de portants, de mannequins synthétiques aux déhanchements provocateurs. Des cartons éventrés, des pages de journaux salis envahissent l’espace.

 

Au centre se joue une curieuse pantomime.

 

Un cercle de figures en plastique habillés façon Directoire.

Des femmes en tuniques diaphanes, clamydes à méandres, florilège de rubans entrecroisés sur la poitrine et cou-de pied, des hommes en redingote sombre arborant des brassards de deuil.

 

Réplique exacte des fameux Bals des Victimes que certains aimaient à donner après la mort de Robespierre. Il était alors de bon ton d’avoir un proche parent guillotiné pendant la Terreur.

 

Réception aristocratique et décadente à l’image des inclinaisons du Maître

 

Incroyables et Merveilleuses en hommage à cette époque d’excès, de dissipation, de recherche éperdue de la jouissance sous toutes ses formes.

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La musique commence.

Solange ose regarder son Maître, sent son souffle court  dans son cou.

 

Pas vraiment beau, pas vraiment jeune.

Une impériale autorité, une sourde bestialité qui teinte ses gestes, une tendresse dominatrice.

 

Afflux de sensations perturbées, excitation lancinante qui monte par vagues, confusion des sentiments.

 

Elle se laisse aller dans ses bras, l’étreint, se sent devenir fiévreuse, lubriquement consentante. A son envie qu’elle sent frémir sur son aine.

 

Instinct de survie primal, mouvement atavique, genèse d’un désir si galvaudé et si original.

 

La fête est finie.

 

L’homme pousse durement  la soumise vers le fond du hangar.

 

Là encore une mise en scène particulière.

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Rangée de mannequins aux mines distantes,  aux cous cerclés d’un ruban soyeux, attachés en ligne, le long d’un rail métallique, à de longs crocs de boucher.

 

Une place vide au centre.

 

Solange sait, devine qu’elle est sienne. Réservée.

 

Docile, elle s’approche dans sa tenue virginale.

 

Elle a peur à présent.

Crainte du châtiment à venir qui ne sera pas clément, qu’elle va subir sous le regard mort des grandes poupées de vitrines.

 

Son corps va souffrir, sera marquée par les coups qu’elle va recevoir

 

 

Perverse envie d’humiliation, de souffrance physique, d’aliénation envers son Créateur.

Elle n’a rien à donner de plus que son corps, son être. Mais ce petit don semble combler son maître.

 

Adroitement, il ceinture ses poignets, les accroche bien haut, vérifie la solidité du cuir noir.

A sa merci, Solange gémit, se hausse sur la pointe des pieds, se cambre et se trouve dans une position fort inconvenante. Elle fixe son mentor, le supplie du regard, dans l’expectative.

 

Il ne bouge pas, attentif, sur le qui-vive, prêt à bondir sur sa proie.

 

Pas un son.

 

Seule la respiration de la soumisse essoufflée et lascive.

 

Et soudain il bouge, quitte son champ visuel, disparaît.

 

Solange suffoque. Ses bras s’engourdissent, pâlissent. Une tension pénible gagne ses jambes trop sollicitées.

Elle se dandine, alterne les points d’appui, essaie de ramener le sang dans ses membres, tend sa poitrine pour trouver l’équilibre.

 

Ballerine suppliciée dans sa toge blanche qui reste en pointe.

 

Un petit rire satisfait dans son dos. L’étoffe de sa robe retroussée, sa chair dévoilée.

Elle ne le voit pas mais sent son regard la parcourir, indécemment, intensément.

 

La première correction s’abat dans un sifflement aigu. Un cinglement prompt puis une seconde claque sur les fesses.

La surprise passée, la femme tend sa croupe, en demande davantage.

 

Exhortation provocante à cette flagellation infligée par cet homme qu’elle ne connaît pas. Elle sent la peau tendre de l’intérieur de ses cuisses détrempée, l’entaille inondée.

 

Toute sa personne est désormais béante, prête à la déchirure.

La cravache frappe encore et encore.

Solange sent sa peau brûler sous les coups. Des pincements cuisants, broderies sanglantes, tatouages festonnés.

 

Elle supplie maintenant, demande grâce.

 

Moment suspendu.

 

Une colonne de chair gonflée perfore son corps, un clou qui la transperce, l’éventre.

La pénétration est trop brusque, trop violente mais Solange ne peut résister à cet assaut charnel. Elle accueille le supplice du pal en geignant et pleurnichant.

 

Les saccades cruelles de l’amant terrible ne cessent pas, s’accélèrent.

Elle n’en peut plus, livrée au rut de son Maître, sentant un plaisir grandissant, malsain et inouï.

Une ultime secousse la matraque. Un grognement à son oreille, des mots crus et cajoleurs  la précipitent dans une cataracte de jouissance sauvage, bouillonnante.

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Plus rien n’existe que cette incandescence monstrueuse, cette vrille de délice, cet abysse féroce, cette bête obscure qui  les engouffrent.

 

Comment peut-elle accepter de souffrir, de laisser ce Monsieur abîmer sa peau ? L’aimer tout de même ? Souhaiter toujours plus d’abaissement ?

 

Solange respire mal, toujours suspendue à ses liens, aspire à une certaine rémission.

 

Elle est libérée, tombe à terre visage défait, cheveux en bataille, aux  pieds de Celui qu’elle vénère désormais, de Celui qui peut prendre son honneur, la vendre, l’offrir à qui bon lui semble.

 

Il la relève, l’enveloppe de son manteau et, sans un mot, glisse un papier dans sa poche.

 

Baiser léger sur le front et déjà il s’éloigne.

 

Solange se blottit, relève une mèche, reprend son souffle, se rassemble de nouveau.

A peine une heure pour reprendre le cours de sa vie, rejoindre sa vie, ses enfants.

Gommer l'outrage consenti, enfouir les preuves de sa servilité, en savourer le souvenir, rêver du prochain.

Solange se rhabille, quitte le magasin abandonné sans regarder en arrière.

 

 Dans sa poche, des mots écrits de Sa main.

Mots doux et ordres, fragment d'un palimpseste toujours à réecrire....

 

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Commentaires
L
Très joli et intense. Cela nous transporte... Vous faites partie du BDSM ?
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K
Eh bien quelle suite ! Cela valait le coup d'attendre ... Et ce n'est pas fini !<br /> <br /> Alors vite le 3e épisode !! ;-)
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O
Une vérité qui se fait flamme dans un récit, entre les lignes, entre les mots. Ambiance, intensité, débats intérieurs, frémissements émotionnels, contradictions et somptueuses évidences. Tout cela au travers un mélange de fragilité, de force, d'évocations tendres et d'élégance du vice ... Magnifique !
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Faunes & Flore
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