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Faunes & Flore
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Faunes & Flore
18 mars 2013

Le Cabinet de curiosités

 

« Monsieur Vouet, il est presque midi ! Si vous voulez arriver à l’heure, il serait temps d’y aller !! ».

 La greffière aux traits tirés vient sermonner en personne son patron, des piles de chemises de couleur à classer dans les bras, des morceaux d’existences malheureuses calés dans son cardigan gris perle.

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Hadrien lui sourit sans un mot, acquiesce de la tête, attrape sa veste, ferme son ordinateur et vérifie l’heure sur la belle montre offerte par son épouse Noël dernier.

Une vie rangée, réussie et enviable selon les dires de ses amis, de son proche entourage. Des enfants en bonne santé, une femme aimante, une demeure près du parc bordelais, une résidence secondaire sur le Bassin d’Arcachon, une voiture allemande de prix.

Des sorties régulières à l’Opéra, dans les restaurants huppés, du sport le week-end.

Une vie factice, de papier glacé où tout est sans aspérités ni zone d’ombre.

 

Cependant, Monsieur Vouet se sent vieillir et n’est pas vraiment satisfait. Le canevas idéal ne correspond pas à ses aspirations profondes. Des accrocs se font jour.

 

Alors Monsieur a cherché à mieux définir ses fameuses envies, s’est posé longuement à son bureau d’avocat et s’est livré à une introspection en règle.

D’un côté ce qu’il aimait, ce qui l‘attirait et l’excitait.

Et de l’autre, tout ce qui le rebutait, ce qu’il rejetait.

 

De cet inventaire précis est née l’idée d’un cabinet de curiosités particulier pour ce collectionneur singulier.

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Bel homme jouissant d’une grande prestance et d’une élégance naturelle, il collectionne depuis plusieurs mois des femmes de tout milieu et de toute origine.

 

Plaidant avec aisance et défendant avec passion ses clients, il jouit d’une autorité particulière dont il joue quand il reçoit les familles paniquées, éplorées.

Doué dans ses plaidoiries, il sait amadouer la gente féminine prête à céder à ses conditions particulières pour gagner un procès, sauver un proche.

Il aime les effrayer, les influencer et s’enivrer de leurs senteurs animales de peur, de doute, d’obéissance forcée.

 

Une fois la victime élue, Monsieur Vouet l’invite dans son appartement secret proche de son étude.

Là, immuablement, la proie est couchée sur un chevalet archaïque, ligotée et soumise aux désirs parfois déments de l’avocat réputé.

 

Une fois son méfait accompli, Hadrien scrute impitoyablement la femme juste prise, encore abandonnée et offerte.

Il choisit alors une partie anatomique qu’il gardera en mémoire, ultime vestige de cette femme dont il ne se souvient déjà plus. Une photographie d’un sein, d’un ventre rebondi, d’une cuisse ou d’une courbe émouvante qui sera tirée sur papier, numérotée, encadrée et datée. Un cliché  qui rejoindra la collection d’un amateur qui cherche à chaque rencontre la perle rare qui saura émouvoir son corps autant que son âme.

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Toute une pièce désormais, ornée de cadres soigneusement alignés, trophées d’étreintes torrides.

Un herbier féminin original et anonyme, assemblage hétéroclite de membres convoités et abandonnés.

Un monde clos, soigneusement dissimulé derrière une apparence d’homme sain et sociable.

 

A cette pensée, Hadrien est pris d’une excitation soudaine, un peu douloureuse.

 

Un dernier coup d’œil à sa montre et le voilà dans la rue, se hâtant pour rejoindre le Musée des Beaux Arts.

Dans sa fameuse introspection, Hadrien Vouet s’est aussi découvert une passion dévorante pour l’art pictural. Amour de la peinture reconnu et flatté par la bonne société. Rien à redire sur cette toquade soudaine.

 

Ses sens d’esthète abusent de cette autorisation à se repaître des chairs torturées des saintes et autres héroïnes de la Grande Histoire.

Il s’arrête toujours devant cette gigantesque  toile si violente du Titien qu’est le viol de  Tarquin qui saisit une Lucrèce se débattant dans ses draps défaits. Intensité dramatique, exaltation des tons sombres, poignard menaçant et regard éperdu de la belle déjà vaincue.

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Il jouit de leurs yeux mi-clos, de leurs lèvres humides et entrouvertes, de leurs corps jeunes, blancs et habilement dénudés dans leur fuite ou leur martyre.

 

Une extase mortifère et si sensuelle qu’il doit se mordre les lèvres pour ne pas gémir.

 

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Monsieur Vouet arrive à la porte majestueuse du musée.

 

Dans le hall, un petit groupe d’habitués attend la nouvelle conférencière pour la visite du mercredi midi. Aujourd’hui le programme est prometteur : les natures mortes et les scènes de genre.

Hadrien salue chaleureusement ses comparses, complimente les vieilles dames quand déboule de la galerie du musée une femme un peu échevelée, visiblement essoufflée.

 

«  Bonjour à tous, je me prénomme Aurélie et je vous servirai de guide pendant toute cette visite méridienne.

Merci à vous d’être venus si nombreux … » débute la ravissante amazone.

 

Monsieur Vouet est fasciné par l’apparition de cette femme singulière si loin des canons habituels. Il ne peut détacher son regard de ses yeux verts en amande, de l’arête un peu appuyée de son nez, de ses hanches trop larges à peine masquées par une robe mal coupée, de ses cheveux peu soignés retenus par un crayon à papier mordillé.

 

Rien à voir avec les sculpturales femmes qu’il croise lors de son tennis et de son jogging matinal au Parc. Rien à voir non plus avec les femmes du peuple qu’il aime à supplicier dans son alcôve de douleur.

 

Hadrien suit le groupe mécaniquement, n’écoute pas un traître mot de ce que raconte la conférencière. Aurélie sourit, s’interrompt souvent, écoute attentivement les questions des participants, plisse le nez et répond avec passion. Son auditoire est captivé, séduit par son charme atypique.

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L’avocat s’avance, pousse un peu l’homme qui le précède pour se mettre dans son champ de vision immédiat. Il cherche à attirer son attention en la questionnant à son tour.

Elle pose ses yeux sur lui, ne sourit pas, ne répond pas non plus.

 

Hadrien, habitué à séduire, est piqué par son manque d’attention.

 

Une colère sourde monte en lui. Une envie de la plaquer sur la cloison, de l’épingler sans retenue entre les lourds cadres ouvragés, de lui imposer toute sa violence virile, sa suprématie et sa morgue d’homme important sous le regard médusé de ses compagnons de visite.

Plaisir aussi de la corriger, de voir son épiderme rougir sous ses claques, de l’abandonner des heures durant dans un froid glacial, les membres raidis par l’attente.

 

Ses mains le démangent. Il doit les coincer sous ses aisselles pour éviter tout geste déplacé, inconvenant dans ce temple pictural.

Un peu emprunté, gauche, il serre les dents, fixant férocement cette Aurélie qui éveille en lui une envie irrépressible d’outrage, de souillure.

 

La conférencière veut à présent quitter la salle pour rejoindre le prochain tableau accroché un peu plus loin.

Le corps frémissant et conquérant de Monsieur Vouet l’en empêche. Il la toise un peu moqueur et sûr de lui. 

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Elle lève vers lui des yeux incrédules, esquisse une ébauche de rictus et lui demande à voix basse de bien vouloir la laisser passer.

 

Une tension hostile et crépitante s’est désormais installée entre les deux.

 

Monsieur Vouet a bien du mal à contrôler son appétence pour la belle aux yeux verts et Aurélie le défie du regard, guerrière prête au combat charnel.

 

Elle le frôle par inadvertance, manque de tomber et s’excuse en posant une main hésitante sur son torse. Des doigts qui s’attardent un peu trop sur sa chemise. Hadrien sent la morsure brûlante de sa paume sur sa peau.

 

Qu’elle serait belle cette Aurélie dans son cabinet de curiosités ! Pièce unique et de choix, rareté précieuse qui enflamme ses sens et lui fait oublier toute éducation.

 

Pour son corps imparfait, il ne choisira pas et sera prêt à la mitrailler intégralement pour garder trace de son trouble, incapable de juger ce qui l’émeut autant.

 

Mieux encore, il pourrait l’embaumer, lui consacrer une grande vitrine qu’il fleurirait chaque jour d’arums ou de lys immaculés.

Ou la soumettre, la réduire en esclavage, objet de pur désir à sa merci, recluse dans cet appartement, éperdue de reconnaissance quand Hadrien viendrait la visiter.

 

Perdu dans ses pensées sadiques, Hadrien n’écoute rien, ne voit rien, ne comprend rien. Ses yeux sont rivés sur la bouche de la conférencière.

Une irrésistible envie de mordre ses lèvres s’empare de lui. L’envie de la blesser légèrement aussi, de sentir le goût métallique du sang chaud sur sa langue, juste pour la rabrouer un peu, lui faire perdre sa superbe.

 

Et une envie plus licencieuse de la voir s’agenouiller et de sentir son érection disparaître délicieusement dans sa bouche gourmande.

 

La rencontre du midi s’achève sur un dernier tableau flamand.

 

Bientôt la belle va disparaître dans les bureaux du musée et Monsieur Vouet ne sait pas comment la retenir. Le rang des visiteurs se clairseme. Aurélie attend patiemment le départ de chacun des participants.

 

Seul reste Monsieur Vouet qui ne peut se décider à partir.

La conférencière ne dit mot, respire difficilement, en proie à une émotion grandissante.

 

 

 

Aurélie arrive en retard à sa conférence. Elle n’a même pas pu se recoiffer avant de commencer ni jeter un rapide coup d’œil à ses fiches.

 

Un rapide mot d’introduction, de bienvenue aux participants de sa visite avant de les inviter à la suivre.

Elle se campe devant la première toile, commence son exposé et regarde plus en détail chacun  de ses interlocuteurs.

C’est alors qu’elle rencontre le regard fiévreux d’un homme qu’elle n’a jamais vu auparavant. Un regard impérieux, empli de sombres promesses, de dépravation tentatrice.

 

Elle lutte pour ne pas lui donner trop d’importance, feint l’indifférence et s’attache à répondre avec un brin d’affectation aux sollicitations des autres participants.

Son cœur s’affole cependant quand elle sent qu’il la dévisage, ses mains deviennent moites, le dessus de ses lèvres se couvre d’une fine transpiration. Le bas de son ventre la tiraille aussi. Une humidité incongrue la gagne.

Elle ne doit pas se déconcentrer, regarder ailleurs.

 

Et le voilà qui s’avance, la provoque en cherchant ses yeux. Puis il pose une question qu’elle n’entend pas.

Désespérée, elle prend le parti de ne pas répondre, de le laisser dans l’expectative. Elle sent bien qu’elle l’a blessé, que son amour propre n’accepte pas la rebuffade.

 

Ses prunelles noires se sont étrécies, la fixant à présent comme une proie en puissance. Il serre la mâchoire et l’empêche de finir sa visite.

Aurélie lui demande de bien vouloir la laisser continuer.

 

Point de non retour. Combat de coqs où personne ne s’avouera vaincu.

 

La conférence va s’achever et Aurélie cherche désespérément un moyen de retenir cet homme. Rien ne vient. Elle raccompagne les visiteurs dans le hall du musée.

L’homme s’attarde. Elle attend patiemment un signe.

 

« J’ai à la maison une petite nature morte dont personne n’a  jamais su rien me dire. Peut-être, si le cœur vous en dit et si votre temps n’est pas trop compté, pourriez-vous jeter un coup d’œil ?»

La conférencière sourit charmée, ravie du subterfuge éculé.

Un peu trop rapidement, elle accepte de le suivre.

 

Les voilà haletants et intimidés par la force de leur appétit devant la porte de l’immeuble de l’appartement de Monsieur Vouet.

Hadrien devance la conférencière l’invitant à la suivre, déverrouille la porte de son cabinet de Barbe-bleue.

 

Aurélie pénètre dans l’antre de l’avocat à petits pas.

 

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Sur les murs tendus d’une  pourpre conventionnelle, des étagères, des vitrines anciennes où trônent des cordes, des cravaches, une rare canne de flagellation  et autres baillons brodés soigneusement rangés et mis en valeur par de délicats éclairages. Plus loin, une bibliothèque plein d’ouvrages licencieux, aux reliures griffées. Des gravures et de petites scènes érotiques joliment exposées dans ce lieu feutré.

Tout un univers sexuel décliné à l’envie de sa forme la plus triviale à la plus raffinée.

 

Aurélie sent une envie inavouable d’être renversée à son tour  sur un de ses canapés inoccupés.

Hadrien s’est tenu à l’écart la laissant découvrir la teneur de sa collection. Il contemple sa nuque agacé par ses mèches folles et meurt d’envie d’y planter les dents.

Elle se retourne vers lui, lui coule un regard voluptueux  en s’enveloppant nerveusement de ses bras.

 

Monsieur Vouet s’est déjà lové contre le corps de la conférencière l’emprisonnant de ses bras. Elle ne se débat pas bien au contraire, prisonnière consentante, prête à subir les outrages de son geôlier. La tête renversée, la bouche entrouverte, elle sent les doigts experts de l’avocat retrousser le tissu de sa robe, caresser le haut de ses cuisses et s’égarer dans un territoire interdit.

Son trouble se métamorphose en une faim irrépressible. Famine prégnante et incontrôlable.

Elle s’abandonne aux morsures, aux baisers dévorants, ondoie et bascule lascivement ses larges hanches,  le provoquant en gémissant doucement.

Hadrien perd pied.

 

La belle ne sera pas ligotée au chevalet. Il ne veut pas abîmer sa chair mais elle sera punie pour son attitude détestable dans le musée.

Devançant la violence de son amant, Aurélie se retourne et dans une supplique muette lui présente ses poignets croisés.

La vision de cette charmante femme cultivée s’offrant aussi naïvement au tortionnaire qu’il peut devenir, émeut Hadrien. Il retire le crayon de ses cheveux pour s’offrir le spectacle voluptueux de leur ruissellement.

Il  la dénude totalement, s’empare de ses attaches si gracieuses, y appose le sceau de ses lèvres brûlantes et les attache avec une corde fine et rugueuse.

Immobile, les mains liées, elle ressemble à l’orante des temples antiques, vestale soumise, prêtresse d’un culte orgiaque, pucelle à déflorer.

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L’avocat la contraint à baisser le regard, la contourne plusieurs fois en soufflant bruyamment, insufflant un climat de terreur feutrée.

Puis la sentence tombe.

 

Aurélie doit s’agenouiller, jambes écartées et obtempérer sans délai.

Elle s’exécute, marche à croupetons, prenant appui sur ses avant-bras, s’exposant  lubriquement à la convoitise de l’homme qui se tient derrière elle, encore debout et habillé.

 

Des coups saccadés et brusques s’abattent sur elle. Une correction curieusement  escomptée qui claque dans le silence du cabinet.

Elle s’arque, goûtant la déchirure cuisante qui la rend moite et si peu civilisée.

 

Elle aussi perd pied et s’offre en toute consciente à la flagellation  du sacrificateur.

 

Monsieur Vouet n’a pas perdu de temps et plonge sa virilité dans le corps palpitant de sa victime.

Immolation de l’agneau corrompu sur l’autel de la luxure. Corps offert pour un accouplement animal.

Saccades et secousses agitent les deux corps qui se heurtent sans ménagement, se martyrisent. Les visages grimacent, se convulsent.

 

«  Ouvre-toi ! Ouvre-toi !» ordonne l’avocat qui exige de son amante davantage de servitude Il veut aller plus loin, la posséder plus encore et Aurélie succombe, prise au piège de ses propres envies.

 

Hadrien lui tire les cheveux, l’obligeant à dévoiler sa gorge, à l’accueillir toujours plus profondément et plus brusquement.

Le plaisir les fauche et pantelants, à bout de souffle, ils ne veulent pas bouger, trop inquiets de briser ce charme si ténu qui plane encore.

 

Monsieur Vouet se retire mais l’historienne de l’art doit rester en place. Monsieur n’en a pas fini avec la demoiselle.

 

Elle l’entend quitter la pièce, ouvrir un tiroir, farfouiller et revenir. Il se penche sur elle, lui intime le silence quoiqu’il fasse.

 

Un petit grattement au creux des reins, une sensation mouillée et froide.

 

Monsieur écrit avec une plume métallique sur son dos. Il souffle tendrement sur sa calligraphie, appuie un buvard sur l’encre de chine, attend que son œuvre sèche.

 

Puis toujours muet, il la place devant une psyché où elle peut contempler les travaux d’écriture.

 

Deux lettres, un numéro à deux chiffres.

Numéro d’inventaire du cabinet  de curiosités de l’avocat HV 72

 

Hadrien ne fera pas de photographies.

 

Aurélie toute entière fait partie de sa collection.

 

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Commentaires
E
Flore, tu nous fais encore découvrir un nouveau pan de ton art littéraire si joliment sulfureux ! Bravo :)
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K
Encore un régal à lire, toujours aussi haletant et inspirant ... Bravo !
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Faunes & Flore
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